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Tous les textes, sauf indication contraire: © Jean Robert Bourdage 2012 - 2019

31.3.11

Une inconnue


Elle avait peine à contenir son fou rire, malgré la morosité ambiante. L'autobus était bondé, et la pluie battante qui tombait depuis des heures n'avait rien pour égayer les passagers.
Elle observait l'homme en face d'elle. Il n'était pas trop trempé sauf pour son chapeau dont les larges rebords avait créé une rigole autour de son couvre-chef. Chaque fois qu'il bougeait la tête, un filet d'eau s'échappait et aspergeait un passager voisin, au grand plaisir de la grande femme noire. Elle était sans doute haïtienne et portait des couleurs vives, contrastant avec la température ambiante.
L'homme au chapeau finit par l'apercevoir, en train de se retenir, et qu'elle le regardait. Nerveusement, il regarda l'heure et un autre filet d'eau tomba, cette fois-ce directement sur sa montre bracelet. Et à ce moment il regarda la femme noire et il comprit, il tenta de tourner tout cela à la blague et salua la femme du  chapeau, et l'eau qui en tomba se dirigea directement sur la tête d'une dame qui ne semblait avoir aucun sens de l'humour.
La femme noire n'en put plus et explosa de rire.

30.3.11

Une inconnue

«Viens!» dit-elle.
Elle est devant moi, translucide, flottant couchée au dessus de mon lit.
Je ne l'ai jamais vue auparavant.
Elle sourit
La chaleur de son sourire
Elle me tend les bras
Je n'hésite pas, je lui tends les miens.
Au contact de sa peau, je ressens la paix
Surprenant, mais agréable
Je sais que je rêve, mais en ce moment précis, elle existe.
Elle est là, souriante, sa longue chevelure flottant dans les airs.
Et je plonge dans le ciel avec elle.
Je lui fais confiance, puisque c'est tout ce qui reste à faire
Puisque c'est la seule chose que je n'ai pas essayé.
Je flotte avec elle
Nous partons à la dérive, mes yeux rivés dans les siens
Je n'ose rien dire
Je n'ose rien demander
Je suis bien
Je me fous de la gravité
Je me fous de la réalité
Ce seul moment
Ce moment
À lui seul
Oui

29.3.11

Ce jour-là, les volets étaient entrouverts. Les bruits de la machinerie s'étaient finalement arrêtés. On entendit une voix d'homme proférer un juron dans une langue étrangère. Depuis combien d'années vivait-il là? dix? douze? sans jamais adresser la parole à personne. Le peu de fois qu'on l'apercevait, fumant une cigarette sur  le pas de la porte, il se mettait toujours à regarder autour de lui, devinant qu'on l'épiait. Lorsqu'il nous repérait, il nous fixait, le regard plein de méfiance, et son énorme moustache nous empêchait d'être certain si l'injure qu'on lui prêtait venait vraiment de lui ou si nous l'imaginions. Cela faisait maintenant deux semaines que les bruits de machinerie se faisaient entendre tous les jours. Des bruits d'engrenages, de génératrice, des bruits de scies, des coups de marteaux. Et maintenant le silence, et un juron. Le fleuriste d'en face a interrompu l'arrosage de ses plantes, la D'Agostini a cessé de battre son tapis, Enzo est sorti de son magasin. Moi, je suis sur mon balcon comme à mon habitude. Tous ensemble, sans s'être donnés le mot, nous attendons la suite.
«Vint un temps où le risque de rester à l'étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d'éclore»

-Anaïs Nin

27.3.11

«Each painting has its own way of evolving. When the painting is finished, the subject reveals itself»

- William Baziotes

23.3.11

fragment de journal d'un inconnu

31 octobre : Je lui ai laissé un message au téléphone. Je l'ai appelée. Je veux qu'elle me rappelle. Si elle ne me rappelle pas, je ne suis plus rien. Les signaux étaient faux, rien de ce que j'ai décelé n'est réel. Tout s'écroule à nouveau. Un point d'ancrage: c'est ce dont j'ai besoin. Je suis à la dérive. Je veux qu'elle me serve de point d'ancrage. Elle peut me sauver. Elle doit me sauver. Sauve-moi! Rappelle-moi! Pourquoi est-ce si long? Je n'ai pas la même importance pour elle que ce que je lui accorde. Je ne suis qu'un figurant dans sa vie, et elle m'est essentielle, et pourtant, je ne sais rien d'elle. Rappelle-moi. Ça fait déjà une heure que je t'ai appelé. A-t-elle eu mon message? Mon message s'est-il perdu? Peut-être devrais-je réessayer? Mais j'ai peur de sonner désespéré. Qu'y a-t-il? Répondez quelqu'un! (section illisible) Suis-je un extra-terrestre? Suis-je si repoussant? 
(section illisible)    Il n'y a pas d'issue, cette programmation est profonde. (section illisible) Je veux tous les amours à la fois. Tout ceux que je n'ai pas eu. Je veux une femme de 20 ans, une de 25, une de 30 et une de 35; je les veux toutes, (section illisible) Rachel, je t'en veux. T'en veux. Tu m'as fait reculer. (section illisible) une justice quelque part, une justice universelle. Il n'y a pas un dieu juste et conscient. Nous ne serons jamais récompensés ou punis pour la vie que nous avons mené. Peut-être si on dérange pas trop. Déranger, Béranger, je suis un rhinocéros. Ça y est je dérape...

22.3.11

L’INTERROGATOIRE (Maigre hommage aux Monty Python) - 1999

Sketch à 4 personnages.

Détective 1
L’avocat
Paul Bernatchez (l’inculpé)
Détective 2

Notes: tous les personnages parlent avec un français international.   

L’action se passe dans la salle d’interrogatoire d’un commissariat de police. L’éclairage est cru. Il n’y a qu’une seule table et trois chaises. Un magnétophone enregistre tout. Sont présents: L’avocat et l’inculpé (Paul Bernatchez, assis), ainsi que le Détective 1, debout, en bras de chemise, holster en vue. Il y a de la fumée de nombreuses cigarettes (déjà fumées), et l’on peut deviner une étouffante chaleur. Détective 1 est à bout de patience, l’inculpé est nerveux, seul l’avocat semble parfaitement détendu. Un long silence inconfortable pendant lequel Détective 1 ne lâche pas Paul Bernatchez des yeux.


Détective 1- Ok Bernatchez (tchèse)... Je commence sérieusement à m’emmerder.

L’avocat- J’aimerais vous rappeler que le nom de mon client se prononce Bernatchez (tché)

Détective 1- Si tu commençais par me dire ce que tu faisais la nuit du douze...

L’avocat- Mon client...

    L’avocat n’a pas le temps de terminer sa phrase que Détective 1 le flingue sur-le-champ. Il tombe raide mort.

Paul Bernatchez- (sincère) Merci...

    Un temps...

Détective 1- Écoute moi bien mon petit merdeux, tu vas me répéter ton emploi du temps dans la nuit du 12 au soir...

    Paul Bernatchez demeure impassible.

Détective 1- Pour l’enregistrement;  le suspect refuse de répondre.

    Détective 1 se met à tourner en rond comme pour se calmer en répétant “OK” sans cesse. Puis, il se rend près du corps de l’avocat et l’observe. Aucun remord.

Détective 1- Tu lui devais combien?

Paul Bernatchez- presque 3000...

Détective 1- Bon, j’t’ai rendu service, tu pourrais toi aussi...

Paul Bernatchez- (fait signe que non de la tête)

Détective 1- Pour L’enregistrement; le suspect fait non de la tête.

    Détective 1 sort un flasque d’une poche de son pantalon, de l’autre poche, il sort une bouteille de pilule, en avale plusieurs, puis fait descendre ça avec son petit whisky. Petit temps. Puis arrive Détective 2. C’est un homme de maigre stature, vif et au léger sourire.
Détective 1- Pour l’enregistrement; l’inspecteur Leclerc vient de faire son entrée.

    Les deux détectives se consultent à voix basse dans un coin. Détective 1 met Détective 2 à jour. Sans se déplacer, Détective 2 jettera un coup d’oeil sur le corps de l’avocat, approbateur. Puis Détective 2 va s’asseoir face à Paul Bernatchez, pendant que Détective 1 remet son veston.

Détective 1- (pour Détective 2) Bon, moi je rentre... Allez, bonne chance!

Paul Bernatchez- Merci!

    Détective 1 s’arrête sec lors de la boutade de Paul Bernatchez. Détective 2 lui fait un signe et Détective 1 sort.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le sergent L’Heureux vient de quitter la salle d’interrogatoire.

    Un long silence pendant lequel Détective 2 regarde fixement Paul Bernatchez. Très long silence. Plus long que ça encore.

Paul Bernatchez- euh... vous avez pas des questions?

Détective 2- Seulement si vous avez des réponses. Sinon ce serait du gaspillage de mots, et comme je suis payé à la ligne...

    Temps.

Détective 2- Alors que faisiez-vous la nuit du douze?

    Temps.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect refuse de répondre. (Temps). Quelle pointure de chaussures portez-vous, Monsieur Bernatchez?

Paul Bernatchez-  Pardon?

Détective 2- Nous avons retrouvé des traces de pas près du cadavre, et les empreintes sont forcément d’une certaine longueur... Faut vérifier. Ça ne peut pas vous condamner mais au moins on a un début de conversation... Alors?

Paul Bernatchez- Alors quoi?

Détective 2- Vos chaussures?

Paul Bernatchez- (Regarde ses chaussures) quoi?

Détective 2- Quelle pointure de chaussure portez-vous?

    Long silence (encore? eh oui...). Tout à coup, et tout à fait par surprise, Détective 2 se jette sur le pied de Paul Bernatchez. Chamaillage. Paul Bernatchez s’arrange pour que ses deux pieds restent bien à plats sur le sol et couvre ses chaussures de ses mains du mieux qu’il peut. Détective 2 ne parvient pas à obtenir son information. Détective 2 retourne s’asseoir et reprend son souffle. Paul Bernatchez fait de même. Un temps. NB En aucun temps Détective 2 ne montre ou n’a montré des signes d’impatience. Détective 2 ouvre un dossier et y consulte des documents.

Détective 2- Paul Bernatchez... hum... arrêté pour voie de fait contre un clown en 1984... (on sent que le stress de Bernatchez monte d’un cran). En effet, Pistachio a dû séjourner 5 jours à l’hôpital. Simplement parce qu’il vous avait imité en train d’éternuer pendant un festival, en pleine rue... Auriez-vous peur du ridicule, Monsieur Bernatchez?

    Paul Bernatchez montre une grande nervosité. Il fait une grimace.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect fait une grimace.

    Un temps.

Détective 2- Revenons à nos moutons... Quel était votre emploi du temps dans la nuit du 12 au 13?

    Silence.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect a mauvaise haleine.

    Silence.

Détective 2- Pour la dernière fois, quelle pointure de chaussure portez-vous?

    Silence. Rictus de Détective 2.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect se couvre la bouche avec la main, se tape sur la tête avec l’autre, grimpe sur sa chaise et imite un canard.

Paul Bernatchez- Quoi? mais vous...

    Détective 2 l’interrompt en lui donnant une petite tape sur la main.

Détective 2- Avez-vous déjà été propriétaire de ce poignard? (Détective 2 montre un poignard taché de sang dans un Ziplock).

    Mutisme de Paul Bernatchez, mais la pression monte.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect fait un double salto arrière avec vrille inversée et se fout une olive dans chaque narine.

    On sent que Paul Bernatchez va craquer d’un instant à l’autre.

Détective 2-
Votre alibi, Madame Bruchési, qui comme on le sait, est aveugle sourde et muette, a été diagnostiquée Alzheimer et végétarienne; ce qui rend votre alibi du souper en tête-à-tête à la Cage au Sport bien mince... Si vous me disiez ce que vraiment vous avez fait la nuit du 12...

    Silence.

Détective 2- Pour l’enregistrement, (imitant soudainement Édouard Carpentier) le suspect monte sur le troisième câble et se jette sur le cadavre de son avocat, oh lalala, 145 livres à la volée, ça fait mal, ça fait très mal! oh mais il sort quelque chose de son maillot, l’arbitre demande le break, mais Bernatchez, furieux, mord le visage de son adversaire...

Paul Bernatchez- ASSEZ! (il éclate en sanglots) 10 1/2...(temps)... je chausse du 10 et demi... Salaud!

    Détective 2 s’approche lentement et lui tend un mouchoir.

Paul Bernatchez- Je rentrai chez moi, après le travail, à pied comme à mon habitude, le pas rapide, il avait plu tout l’après-midi et ça menaçait de reprendre à tout moment. J’étais presque rendu chez moi, je venais de croisé cet hurluberlu de Paradis, qui habitait à quelques pas. Puis il se met à pleuvoir, je voulais rester sec, alors je me suis mis à courir; à ce moment précis, un taxi est passé à toute allure dans une flaque d’eau, juste à côté de moi, et j’ai été aspergé... J’étais trempé. Quelques secondes ont passé, puis tout ce que j’entendais, c’était le rire de Paradis, qui se moquait. Il hurlait de rire, complètement inconscient de la pluie qui recommençait à tomber. Il riait et riait. Et puis, tout à coup, tout le monde riait, Paradis, les passants, les chats de gouttière, mon grand frère, Pistachio, ils étaient tous là. Alors, je me suis jeté sur lui. Et j’ai frappé, frappé, frappé. Quand j’ai repris le contrôle sur moi-même, je me suis rendu compte que j’avais tué Jacques Paradis.

Détective 2- Lucien.

Paul Bernatchez- uh?

Détective 2- Lucien Paradis.

Paul Bernatchez- non, Jacques Paradis.

Détective 2- (sortant un papier du dossier) Lucien Paradis, 5’9, 160 lbs, domicilié au 6613 avenue Du Parc...

Paul Bernatchez- non, Jacques Paradis, de la rue De Lorimier, ramoneur.

Détective 2- oh! (Il consulte ses autres dossiers, un petit moment) Je suis vraiment confus, je suis chargé de l’enquête sur le meurtre de Lucien Paradis, marchand de citrons... Toutes  nos  excuses, Monsieur Bernatchez, vous pouvez rentrer chez vous.

Paul Bernatchez- Vraiment?

Détective 2- hmmm... hmmm...! (Détective 2 met de l’ordre dans ses dossiers)

Paul Bernatchez- oh. (Il commence à rassembler ses affaires, se lève et ramasse son veston sur le dossier de sa chaise)

Détective 2- ah... Par contre, on vous demanderait de ne pas quitter le pays, pour qu’on puisse recommuniquer avec vous dès qu’on retrouvera le corps de Jacques Paradis.

Paul Bernatchez- Bien sûr!

    Paul Bernatchez se rend vers la sortie, pose la main sur la poignée, s’arrête un moment puis retourne la tête vers Détective 2. Sur le ton de la confidence.

Paul Bernatchez- Vous savez... Ils servent des salades végétariennes à la Cage au Sport.

Détective 2- Je n’y suis jamais allé, mais je me promets bien de combler cette lacune.

    Paul Bernatchez sort. Fade éclairage. Fin.

21.3.11

anxiété

Un enfant qui pleure
Que dis-je, il hurle
Pourtant il est propre, nourri, cajolé
il hurle
et on ne comprend pas pourquoi
et on ne peut rien faire d'autre
il prend toute la place
son cri strident court-circuite la pensée.
L'impuissance.

20.3.11

Il croit avoir repris des forces.
Il croit être à nouveau le centre d'attention.
Ce n'est qu'un dernier sursaut
la dernière course d'une poule sans tête.

19.3.11

J'ai besoin d'une brosse à effacer.
Pour tout le tableau, surtout financier.
Trop anxiogène.
Ça contamine tous les autres tiroirs.
J'aimerais pouvoir me compartimenter.
Être étanche.
J'arrive à le faire au théâtre, mais plus à l'impro.
Et même parfois au théâtre, le doute s'immisce.
Mais je sais qu'il est mortel,
en ce sens qu'il peut mourir
Et
j'ai apporté mon revolver.
Un chat m'espionne du haut de l'escalier de secours dehors et ça inquiète Petibou. Je crois que la rotation de la Terre inquiète Petibou.

On a les chats qu'on mérite.

18.3.11

"Writing is the only thing that, when I do it, I don't feel I should be doing something else."
- Gloria Steinem

17.3.11

J'ai rêvé cette nuit que Peta avait réussi son lobby et qu'une loi avait été voté pour interdire les logos / mascottes d'animaux aux entreprises qui ne sont pas en lien avec ceux-ci, et The Onion a dû se débarasser de son rhinocéros.

Je l'aime celui-ci. Le rêve.

16.3.11

It is now time for optimism

because pessimism worked so well in the past.

(it's always time for cynicism)

15.3.11

Une inconnue

Elle était assise dans un coin, le regard perdu.
Elle ne souriait pas.
Elle n'était pas triste.
Personne ne s'occupait d'elle; elle ne semblait pas en souffrir.
Moi je l'ai remarquée dès mon arrivée.
C'est une beauté singulière, en ce sens qu'aucun de ses traits n'avait quelque chose d'exceptionnel, mais ensemble, ils forment un tableau parfait.
Parfait comme Picasso ou Bosch.
C'est ma beauté à moi, pas celle des magazines.
Elle s'est mis à sourire brièvement, sans lever le nez de la table, son menton toujours sur ses genoux. Peut-être a-t-elle froid aux pieds?
Elle fume - non, en fait, elle a une cigarette qui se consume seule dans le cendrier.
Je n'entends plus le brouhaha des conversations du bistro, je n'entends plus le bruit de la vaisselle qui s'entrechoque.
Tout devient sourd, un peu comme si j'étais submergé.
Je la regarde, elle.
Mes yeux créent un corridor dans lequel il n'y a que nous deux.
Elle s'appelle Martine ou Josiane, j'en suis certain.
Elle fait des études en littérature, simplement parce que les livres sont ses meilleurs amis et qu'il faut bien étudier quelque chose.
Elle joue de la guitare à l'occasion mais surtout, elle dessine des petits personnages de bédés que l'on retrouve partout dans le vieux quartier de la ville:  à l'arrière d'un panneau de circulation, sur une planche masquant une fenêtre, sous un graffiti porno à l'intérieur d'une toilette pour hommes, sur un billet de banque.
Partout ses petits personnages se répandent, telle une armée absurde.
Soudain, elle se lève et va régler son addition.
Elle met son manteau à gros boutons et se dirige vers la sortie, sans écraser sa cigarette, sans dire bonjour à personne, sans un regard dans ma direction.
Elle est partie.
J'ai le cafard.
Ça suffit pour aujourd'hui, je rentre.

14.3.11

scène fictive, auteur fictif

Arnolphe et Gotham (2001)
de
Philippe «Wizz Wizz» Blondin

Historique

D’abord écrite en 1971 en réaction à l’élitisme des «Nuits de la poésie», Arnolphe et Gotham fit la tournée de différents bars et autres lieux publics des quartiers Centre-Sud et Hochelaga Maisonneuve au début des années 70.
Cette pièce à sketches fut principalement interprétée par l’auteur et son vieil ami Marcel Chamberland, et incluait souvent une distribution hétéroclite et flottante. Trente ans après sa création, Philippe «Wizz Wizz» Blondin réactualise le texte et sa mise en scène. La nouvelle version n’a toujours pas été montée.

L’auteur

Peintre de rue et «spree writer», Philippe «Wizz Wizz» Blondin est né à Trois-Rivières en 1943. Prolifique et multidisciplinaire, il a toujours refusé de se laisser contaminer par l’art bourgeois «qui est le cholestérol de la culture montréalaise, culture qui ne survira pas à son prochain pontage, à moins que...» Cette scène est la seule qu’il ait jamais accepté de publier.

La scène

Tableau 14

    L’effeuilleuse quitte la scène. Gotham sort de son coma, se lève et retire les couteaux du rond de poêle. Comme on dit à Québec, il blaste. Juste avant d’écraser la bite de hasch entre les lames, il fredonne les lettres «GRC» comme s’il s’agissait d’un jingle de station de radio. NB la scène n’a aucun sens si l’acteur ne fume pas pour vrai.
   
    Arnolphe entre. Il s’adresse directement au public.

Arnolphe: Mon ostie de gang de caves! ça vous prenait une fille tout nu pour vous fermer à gueule! (ton d'annonceur)  Messieurs! on applaudit très fort Cassaaaandra! Cassandra! et maintenant, Mélinda! Méliiiiinda!... Osties de morons!

Gotham: Morons pas eux autres, je te le garantie!

Arnolphe: Toutt ce qui vous intéresse, c’est bander, mes hosties! Vous passez votre vie à bâtir un empire pis vous le vendez au premier Japonais qui passe, juste parce que vous pensez qu’avec plus de cash, vous allez fourrer plus. Pis ça se dit patriote pis souverainiste, pis ça achète chez Wall Marde pis Crosst Co. Parce que ça coûte moins cher ostie, pis s’pas grave si la quincaillerie du beau-frère farme. Criss qu’on a jamais eu autant de papier de toilette dans nos maisons! C’est pas grave Jérémie! sacre-les à terre tes céréales! on n’a douze autres boîtes!

Gotham: (chantant) Je n’ai jamais assez de Sugar Crisp.

Arnolphe: Jérémie, ta mère pense qu’à va pouvoir sauver assez d’argent pour s’acheter plus de billets de 6/49 ou encore mieux, de Super 7, qui coûte plus cher, mais où t’as plus de chance de passer proche! Pis là, a rêve d’un séjour en Floride...

Gotham: (imitant des fans sportifs américains) U-S-A! U-S-A!

Arnolphe: Des plages ensoleillées! Des dollars américains! Du Burger King à tous les jours! Y fait chaud, pis on est en pays civilisé! Des filles en bikini, des surfers sexy, pis un pélérinage à Walt Disney... Québec! Comment vas-tu?

Gotham: Je vais nulle part

Arnolphe: L’érection! Walt Disney! nos deux divinités! La 6/49 est juste là pour y arriver! Je bande sur le canal trente-deux! ZAP! je braille sur le canal six, avec la petite barre en dessous! Si y avait vraiment un ostie de gouvernement qui voudrait l’indépendance, y abolirait Loto-Québec, partenaire et associé du ministère de la Solidarité sociale. Luttons contre la pauvreté, donnons 20 $ au monde de plus par mois pour qu’y s’achète des gratteux. Le monde va se tenir tranquille tant qu’y va penser que la fille de l’annonce de char veut coucher avec. Tant que Tarzan va être blond pis que Quasimodo finit en s’achetant un condo! On change la fin, on l’aimait pas anyway!
Un tiens vaut mieux...

Gotham: que la plupart des détergents en poudre!

Arnolphe: Jésus pris le pain, le rompis, le donna à ses disciples en disant...

Gotham: (Chantant) Je veux toutt toutt toutt la vivre ma vie, je ne veux pas l’emprisonner.

Arnolphe: La dame en bleu, seule à sa table.

Gotham: tenait dans son bec un fromage.

Arnolphe: Astie!

    Arnolphe va se prendre une bière dans le cooler et la débouche pendant que Gotham commence à faire la lecture à voix haute de sa chronique nécrologique . Arnolphe prend une gorgée, regarde le public en faisant des signes de désapprobation de la tête.

Gotham: Le 14 juin, à Montréal, est décédé Roger Saint-Gelais, à l’âge de 53 ans des suites d’une longue maladie. Il laisse dans le deuil, outre son épouse Simone Delisle, ses enfants et leurs époux respectifs, monsieur et madame Denis St-Gelais, et leurs enfants Matthieu, Robert et Simon, monsieur et madame Yvon Lacroix et leur fille Nicole, monsieur et madame Donatien St-Gelais et leurs enfants Mathilde et Joseph, madame Juliette St-Gelais et sa fille Béatrice ainsi que de nombreux petits enfants: Gilles, Albert, André, Sylvie, Louis et Guy. La dépouille mortelle sera exposée salon funéraire Alfred Dallaire de la rue Laurier, jeudi, vendredi et samedi de 9h à 21h. Pendant ce temps dans NDG, le petit Wilson Jaouri est né en parfaite santé, et ce, malgré une grossesse difficile de la part de sa mère Agnès et de nombreuses possibilités de malformations génétiques, due à une vieille malédiction pesant sur la famille du père, Anton, contractée alors que son arrière grand père participa en 1888 à une expédition en Amérique du Sud, au Nord Ouest de Cuzco, afin de retrouvé Machu Picchu, la cité perdue des Incas; au même moment que Mary Kelly, le 9 novembre, dans le quartier WhiteChapell de Londres, perdait la vie au main du plus célèbre serial killer de tous les temps, Jack l’Éventreur. Or ce que l’on ne sait peut-être pas, c’est que Juliette St-Gelais, fille de Roger St-Gelais de Montréal, 53 ans, décédé le 14 juin  des suites d’une longue maladie, et mère monoparentale de la petite Béatrice, aurait tenté sa chance dans le monde du show business sous le nom d’artiste «Mary Kelly», carrière qu’elle abandonna lorsqu’elle tomba enceinte, engrossé par un prestidigitateur de passage à Montréal du nom de Wilson qui se serait enfuit au Mexique en apprenant la nouvelle; coincidence?

 Un temps. Dès qu’Arnolphe se met à parler, Gotham exécute une chorégraphie de type Tai Chi.


Arnolphe: Qu’essé que ça vous prend de plus pour comprendre que ça sert à rien de se reproduire si on a rien à dire. Combien d’Ébola, combien de Sida, de génocide, de famine, de guerre civile?
Donnez-moi un chiffre? Je veux juste un chiffre?
Combien? Combien de grèves de la faim? Combien d’immolation? Combien de prises d’otages? Combien de serials killers ? Combien de Columbine? Combien de Polytechnique? Combien d’Exxon Valdez? Combien de stades olympiques? Combien d’enfants se réveillent pu de rein dans une ruelle de Rio De Janeiro pour le petit Matt Mason en banlieue de Chicago? Combien de photo? Combien de premières pages? Combien de tirage? Combien de Bingo? Combien de vices cachés? Combien de logements à louer? Combien de Plume Latraverse? Combien d’Isabelle Boulay? Combien? Donne-moi juste une approximation. Les questions auxquelles on peut répondre astheure commencent toutes par combien. Comment? Quand? Fini ce temps-là!
Combien ça arrive toujours aux autres?
Combien a peur de Virginia Woolf?
Combien faire l’amour avec un nègre sans jamais se fatiguer?
Combien on attend pour être heureux?
Combien le monde est sans amour?

Gotham: (chantant) Ça ne peut pas durer toujours... (poursuit son Taï Chi)

Arnolphe: Là, vous vous dites, c’est quoi cette scène-là? Y a pas de conflit? Ya pas de quête? Quel est le schéma actantiel de mon personnaaaaaaaage? Criss... Pendant l’Empire Romain, période qui s’étend sur pas mal de siècles, il y avait un temple où on adorait une déesse, Junon j’pense, et ce temple était fermé dès qu’il y avait conflit, une guerre, une révolte, name it. Et bien, durant tout l’Empire romain, si t’additionnes toutes les journées boute à boute ousque l’temple était ouvert, t’arrives à un ti peu moins que 3 ans. Un pareil temple au XX e siècle aurait fait faillite. Ç’aurait pas été long... Fa que, pardonnez-moi de pas avoir de conflit dans c’te boutt ci du show. Pis pour ce qu’yé de la quête, j’m’en viens vous passer le chapeau. (À Gotham) SOLO!!!

    Gotham mime une masturbation intense pendant qu’Arnolphe passe le chapeau dans le public.

Gotham  (les sigles soulignés se prononce à l’anglaise): IBM,KGB,CKRL,CQFD,CLSC, PNMD, ENTC, INRS,FBI, TQS, NdT, ISBN, PPP, ICQ, CIA, LSD, KKK, RER, PFK, BLT, RDA, QRN, ACV, CEQ, CSN,FLQ,CCR,CPR, FLN, IGA, MRC, DDT, XTC,GMC, CCM, GST,KLM, TWA, BPC, BBC, CBC, ABC, NBC (en éjaculant)  Imbéciiiiiles!!!

 Arnolphe revient sur scène.

Fin du tableau.

13.3.11

Je me suis mis à écrire de travers dans un calepin et tout de suite une voix pleine de reproches me disait que je devrais suivre les lignes. Ce n'était ni la voix de ma mère ou d'une quelconque institutrice, mais la mienne.

When everything you do is wrong... You grow tired quickly.

11.3.11

Faut aimer les gens quand on écrit pour le théâtre. Faut penser que ce que l'on a à dire les intéresse.

Je suis pas rendu là.

10.3.11

Page 31

L'ascenseur arrive, ils entrent.  La caméra reste sur les portes de l'ascenseur qui se referment.  Puis, la caméra se transporte au point d'arrivée et on attend que les portes de l'ascenseur ouvrent. Ils prendront des corridors de plus en plus infréquentés et exigus.  Finalement ils arriveront à une porte.  Le policier frappe deux coups rapides et un coup distancé à la porte et attend quelques secondes.  Ils entrent.  Il s'agit d'une grande pièce qui a dû servir jadis d'entrepôt (ou une chaufferie).  Il y a quelques caisses de bois et/ou quelques boîtes de carton au sol.  La pièce est relativement sombre sauf pour un bureau assez éloigné de la porte sur lequel repose un micro-ordinateur, un modem et une lampe.  Travaillant à ce bureau, assise sur une chaise à roulettes en bois, dos à nous, une dame d'un âge respectable.  C'est Béatrice.


BÉATRICE
    Approchez Hans Pauli!

Le policier retire le bandeau des yeux de LUI.  LUI s'approche.  Le policier reste surplace. 


BÉATRICE
Voici donc le fameux Hans Pauli dont j'ai tant entendu parler.  Reculez de deux pas, que je vous vois mieux.  (Il recule).  Décidément, Gomez était un as de la description.  Il va me manquer celui-là.

LUI
    Que lui est-il arrivé?

BÉATRICE
Intercepté, comme la plupart d'entre nous.  (Un temps).  Bien, quoi?  Ne prenez pas cet air ahuri, Hans Pauli, c'est ce qui nous attend tous bientôt, vous le savez.  Seulement, lorsqu'on nous interceptera, il sera trop tard.  Nous aurons rempli notre mission.  Tout ceci doit prendre les allures d'une mauvaise blague, pour vous:  pourtant nous n'avons jamais été aussi sérieux, Hans Pauli...  Nous travaillons là-dessus depuis un bout de temps déjà.  C'est mon époux, Dieu ait son âme, qui fut l'instigateur du projet.  Vous avez les timbres Hans Pauli?  Remettez-les moi..(Il lui donne).
Vous savez pourquoi vous êtes un de nos meilleurs agents, Hans Pauli?  L'ignorance, cher ami, l'ignorance.  Comptez-vous chanceux, il paraît que seul les ignorants peuvent être véritablement heureux.  ( En désignant l'enveloppe de timbres).  Vous n'avez aucune idée de l'information qu'il y a là-dedans, Hans Pauli.  (Elle rigole)
Oh!  Comme il serait heureux, ce cher Charles, de voir son projet achevé.  C'est difficile à prononcer "Ce cher Charles" et pourtant je ne me lasse jamais de le dire.  C'est moi qui a eu l'idée des timbres.  Un immense puzzle dispersé.  Avouez que c'est génial.  J'ai toujours eu un penchant pour la philatélie.  Il fallait faire vite parce qu'ils allaient mettre le grappin sur Charles.  Alors j'ai eu cette idée.  L'élément destructeur est toujours là, désassemblé, inactif et cette nuit, il va renaître!  Grâce à cette machine, Hans Pauli.  (Elle désigne l'ordinateur.  Pendant tout ce temps, Béatrice essaie d'entrer des données dans l'ordinateur, mais s'interrompt à tout moment pour poursuivre son discours).  Une machine pour vaincre la machine.  Oui, Hans Pauli, c'est en partie aux machines que je m'en prends.  On les laisse tout faire...  Nous sommes un peuple absurde, Hans Pauli, vous en convenez.  On laisse la machine agir.  Et la participation, Hans Pauli?  Et l'esprit d'aventure?  Nous sommes branchés dans nos salons sur 5 milliards d'individus.  5 milliards Hans Pauli.  Il n'y a plus assez d'une vie pour dire bonjour à tout le monde.  Et on se désosse tranquillement sur nos divans en regardant ce qui se passe chez le voisin.  Plus personne n'a de vécu , nous ne sommes plus que des témoins; et nous mettons au monde des enfants nostalgiques.  5 milliards d'égocentriques, voilà ce que nous sommes. 

LUI
    Nous ne sommes pas tous ...

BÉATRICE
Nous sommes tous égocentriques puisque nous sommes notre unique point de référence.  Le seul qui aurait peut-être fait exception c'est ce cher Charles.  Et ces salauds l'ont sali.  Tiens, ça aussi c'est difficile à prononcer.  Pauvre Charles, sa santé fragile n'a pas tenu contre un tel affront.

LUI
    Vous agissez par vengeance.

BÉATRICE
(Sarcastique).  Et perspicace en plus?  Oui, par vengeance.  Par vengeance et par nécessité.  Je les salirai à mon tour.  La pagaille.  C'est vraiment tout ce qu'ils méritent. 
(À l'ordinateur apparaît un économisateur d'écran.  Il s'agit de poissons qui se promènent.)  Vous aimez la pêche, Hans Pauli?  Moi j'adore la pêche.  Nos premières rencontres à Charles et à moi avaient lieu sur le bord d'une rivière.  Nous apportions nos cannes à pêche et pourtant nous n'attrapions jamais rien.  C'était l'époque où l'on avait encore besoin d'un prétexte pour courtiser.  Et bien maintenant il faut un permis pour cela.  Pour pêcher, pas courtiser.  Mais de toute façon, même ça ça ne saurait tarder.

LUI
    Vous exagérez.

page 19

Pendant la dernière réplique de LUI, le policier a débranché le téléphone et le répondeur qu'il a enroulés avec leurs propres fils.  Il s'attaque ensuite à la fiche dans le mur qu'il démontera et remplacera le tout par un fil que l'on ne peut débrancher, comme à l'époque.  Au bout de ce fil, un vieux téléphone à roulette.  Tout ceci s'exécute pendant la réplique de Gomez.

GOMEZ
Calmez-vous Hans Pauli!  Tout ceci n'est qu'artifice. 
Ça ne sert à rien d'inventer une machine pour parler à distance avec les gens si on en invente une par la suite pour répondre à notre place, vous ne trouvez pas?  Vous vous éparpillez dans le superflu et perdez de vue l'essentiel.  Le bonheur est fait de petites choses simples, l'accumulation de micro-satistisfactions; un inconnu qui nous sourit dans l'autobus, une nouvelle paire de chaussettes confortables, des retrouvailles avec un ami d'enfance.  Ce n'est pas l'accumulation de gadgets plus sophistiqués les uns que les autres.  L'argent ne fait pas le bonheur Hans Pauli.  Tout le monde sait ça non?  Mais tout le monde a décidé de rejeter le bonheur Hans Pauli et l'argent a gagné.  Les gens ont préféré le pouvoir d'achat.  Entendez-moi bien, l'argent n'est pas mauvais en soi, sauf bien sûr lorsqu'on en manque. 
C'est alors que l'on voit la vraie nature de l'homme; cruelle et sauvage.  Le bonheur c'est de dompter sa cruauté.  Mes supérieurs ont hâte de vous rencontrer Hans Pauli.

LUI
    Quand?

GOMEZ
Lorsque vous serez prêt Hans Pauli, lorsque vous serez prêt.  Pour le moment nous devons nous quitter.  Plus de cache-cache entre nous Hans Pauli.  Il est question de votre bonheur. (Il consulte sa montre).  Il est grand temps de partir.  Tenez. 

Il donne à LUI une nouvelle enveloppe remplie de timbres
Gomez fait signe au policier de sortir avec le téléphone et le répondeur.

9.3.11

En scène

aller chercher la minute, la seconde, entre deux répliques,  où tu es pleinement dans le «here and now», avec la complicité des spectateurs qui te le disent, sans te le dire, et à qui tu le fais savoir sans les regarder, ce moment d'osmose parfaite où tous sont dans le même espace-temps, bien plus grand encore que les dimensions de la scène, ce moment qui nous glisse entre les doigts comme un sable fin vaut mille orgasmes.

8.3.11

L'absence de souvenirs.

Je me suis mis à regarder d'ancienne photos de famille récemment. On m'a donné quelques albums que ma mère conservait. J'ai mis du temps avant de les regarder.

À ma grande surprise, ce sont toutes des photos que je n'avais jamais vu auparavant. Cet enfant, c'est bien moi, qui tient mon père par le bras, assis autour d'une table à l'heure du repas. Je n'ai aucun souvenir de l'événement. Je ne sais même pas si le gâteau d'anniversaire est le mien ou le sien. Mon père porte une chemise à manches courtes. Ce doit donc être mon anniversaire, le sien est en hiver. Mais ces murs, ce vieux poêle à bois, ces chaises, je n'ai aucune idée de l'endroit. Pourtant, j'y ai vécu.

Je n'ai aucun souvenir de mon enfance, avant que j'aille à la maternelle. Aucun.

lettre que j'avais écrit à une amie chère et que j'ai finalement perdue de vue

Lorsque nos routes se croisent à l’occasion
Nos mots deviennent soupirs
Conversation pour la forme

N’avons-nous vraiment plus rien à nous dire?
Ne sommes-nous plus, l’un pour l’autre, apprivoisés?

Mais puisque je pars, et toi tu restes
Puisque nos yeux se sont déjà quittés

J’aimerais te dire

De toi je garde un sourire, une étreinte, un baiser
Et même si ces mots sonnent comme un adieu
Il ne faudrait pas confondre
C’est une page qui se tourne
Et non un livre que l’on range

7.3.11

fin des années 80, part two

Hier

Passé lourd
Sillons obliques
Conscience malmenée
Regrets obèses

Si j’avais, si j’étais
Mes yeux se tournent vers l’imparfait.

6.3.11

En 1987, j’ai écrit un texte pour un cours de création littéraire. Je détestais ce programme, je sentais trop la frustration de tout le monde; les profs, obligés d’enseigner, les correcteurs blasés, les étudiants perfectionnistes ou incompris.

Ceci dit, j’ai beaucoup appris sur l'écriture.

Ce qui me trouble, c’est de voir à quel point, maintenant rendu au double de cet âge, j’ai l’impression que rien n’a changé dans ma vie personnelle, mis à part que je suis plus lucide, et que j'écris moins.

Un professeur, par contre, a su faire une différence pour moi. Le poète Marcel Bélanger. Un homme cynique, un brin épeurant, et beaucoup trop direct pour l'étudiant que j'étais à l'époque.

C'est à lui que j'ai écrit le segment autobiographique de 1987,  pour lequel il m'avait écrit, dans sa correction: «Votre texte m'a profondément touché. Vous savez transmettre de l'émotion, vous avez des choses à dire et votre langue, généralement sobre et précise, sert bien votre propos. Continuez...»

J'ai retrouvé ce texte ce matin. Après avoir fait une recherche, je viens d'apprendre que Marcel Bélanger est décédé il y a moins d'un an.

Marcel Bélanger, merci. Désolé pour le retard. Je vais continuer.
La Solitude

Là, les tentures laissent pendre
Leurs mains lourdes;
Là, les meubles sont morts.

Ton souffle et le mien, cette course
Est perdue
Et je guette les bruits.

Je monte un gros cheval de pierre
Et sans rêve
J'attends la fin des temps.

ÉLOI DE GRANDMONT (1921-1970)

4.3.11

fin des années 80

Ô

À la rigueur, tout peut changer
Malgré la pluie précoce
Deux solitudes; pas assez
Mâchicoulis carnassier
Je heurte ma chaussure
Elle saigne et va,
Mais je reste.

Les gourmets galactiques
Vomissent leur festin
saturés de plaisir
Plénitude vidée
Trou noir encombré
Merde spatiale
Nuages toxiques,
Venez à mon secours.

Cervelle brûlée, caveau ouvert
Pompier solitaire, salive giclée
fauteuil de juges abandonné
La soif de boire, la satiété
L’envie d’envier, la peur de craindre
Polichinelles sans secret.

L’explosion sanctifiée, la bombe ecclésiastique
Tous ces péchés pardonnés
D’une fougue allure, méprise l’obstacle
Prédicateur nostalgique
Leader de néant
Prophète psychopathe
Avale ta pilule, oesophage croulant!
Ma vie doit manquer de piquant, je lis toujours "vous avez quitté l'application de façon spectaculaire" au lieu de sécuritaire.

2.3.11

Synopsis

Bon je commence. Ça se passe à Montréal. Au sud ouest du centre ville, près du canal. L’ancienne usine de la Redpath pourrait faire l’affaire. C’est l’automne, le soleil est couché. Une petite pluie peut-être… Ça ferait un peu cliché, non? Bon ok. C’est sec sec sec. Il y a encore un peu de traffic dans les rues. Un gars… Non. Un homme sort d’une ruelle en courant. Il porte un veston cravate qu’il semble avoir sur le dos depuis un bon moment déjà. Il semble à bout de souffle. Un pansement sur la main. Le gars doit avoir dans la trentaine, ses rides au front sont plus dues aux soucis qu’à l’âge.

    Il est sur le bord du boulevard (y a tu un boulevard dans ce coin là?) il en profite pour reprendre son souffle, les mains appuyées sur les cuisses.
Il traverse. Il semble savoir où il va. En fait il semble plus fuir quelqu’un/quelque chose mais il a une idée d’où il s’en va. Bien que l’on entende les bruits de la ville, on entend principalement la bande sonore : « Rainbow » de Terje Rypdal. Où peut-être ne commence-t-elle que plus tard. On verra.

    Bref le gars traverse. Il est rendu tout près de la Redpath. Il s’assure qu’on l’observe pas de nulle part, et il grimpe une clôture frost qui entoure les lieux. Il pénètre aussitôt l’endroit. Dès qu’il se sent à l’abri, son rythme ralentit. Il peut même en profiter pour s’allumer une cigarette. Ça pourrait même être la première cigarette de l’histoire du cinéma à être fumer en entier en temps réel. Même que dès qu’il l’allume, c’est là que la toune de Rypdal pourrait commencer. La toune est trop courte pour toute une cigarette pis le film mais on la mettra en loop. Anyway je l’écoute en loop présentement pis ça change pas grande chose.

    Bref le gars retrouve ses esprits, pour employer une expression usée. (Non mais ça vient de quoi : retrouver ses esprits = Salut Casper?)
Ok. C’est quand même une histoire sérieuse. Dans ma tête… Je devrais vendre des billets pour que le monde assiste à des spectacles dans ma tête… Juste mes chums qui auraient pas le droit de m’en acheter.

BREF LE GARS RETROUVE SES ESPRITS! Il se met à explorer l’endroit. Ça vraiment plus l’air d’un édifice bombardé qu’abandonné.
Ce qu’il fuyait semble le déranger de moins en moins. En fait, ça n’a jamais eu d’importance. C’est une variable invérifiable. Pas isolable non plus. Tant pis pour les freudiens.

Il explorera le lieu avec une curiosité tout en gardant un air détaché (Ah! Bravo!)

Je sens que le doux parfum de mystère que je voulais installé est en train de prendre une moyenne débarque avec ma putain d’ironie « qui ne vous mènera nulle part » -dixit Raymond Bourneuf.

Bref, y faut que je sorte de ma tête, et que je rentre dans sa tête à lui.
Que je lui écrive un monologue intérieur.

Ok d’abord. Je me prends au sérieux : ça me donne par contre entièrement le droit de rire de moi après.

1.3.11

Une colère. Une colère énorme, presqu'une haine.
Un incendie qui consume tout sur son passage. Sans combustible, il n'est plus.
J'ai été cet incendie.
Et maintenant qu'il ne reste plus que débris et braises, maintenant que tout ce qu'il y avait à détruire a été détruit, trouverais-je le courage de renaître?

L'homme des caverne

«Ce jour-là, le sentier était clair, lumineux.»

Je ne sais pas ce qui se passe, je me sens attiré par cette lumière. Je sais que je l'ai déjà sentie sur mon visage et à quel point cette émotion était neuve. Et pourtant j'ai peur. La force d'inertie, cette tendance à accepter un malheur connu et de ne rien risquer, même si on souffre, même si on a tellement mal qu'aucun son ne veut sortir. On préfère de loin ce que l'on connaît, que l'on saupoudre de petits plaisirs superficiels pour se faire croire qu'on est heureux. Sortir de la caverne. Les rêves sont inutiles si on avance pas dans leurs directions.
Le mot forfait peut faire toute la différence entre la littérature et une brochure.

Avant