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Tous les textes, sauf indication contraire: © Jean Robert Bourdage 2012 - 2019

15.3.11

Une inconnue

Elle était assise dans un coin, le regard perdu.
Elle ne souriait pas.
Elle n'était pas triste.
Personne ne s'occupait d'elle; elle ne semblait pas en souffrir.
Moi je l'ai remarquée dès mon arrivée.
C'est une beauté singulière, en ce sens qu'aucun de ses traits n'avait quelque chose d'exceptionnel, mais ensemble, ils forment un tableau parfait.
Parfait comme Picasso ou Bosch.
C'est ma beauté à moi, pas celle des magazines.
Elle s'est mis à sourire brièvement, sans lever le nez de la table, son menton toujours sur ses genoux. Peut-être a-t-elle froid aux pieds?
Elle fume - non, en fait, elle a une cigarette qui se consume seule dans le cendrier.
Je n'entends plus le brouhaha des conversations du bistro, je n'entends plus le bruit de la vaisselle qui s'entrechoque.
Tout devient sourd, un peu comme si j'étais submergé.
Je la regarde, elle.
Mes yeux créent un corridor dans lequel il n'y a que nous deux.
Elle s'appelle Martine ou Josiane, j'en suis certain.
Elle fait des études en littérature, simplement parce que les livres sont ses meilleurs amis et qu'il faut bien étudier quelque chose.
Elle joue de la guitare à l'occasion mais surtout, elle dessine des petits personnages de bédés que l'on retrouve partout dans le vieux quartier de la ville:  à l'arrière d'un panneau de circulation, sur une planche masquant une fenêtre, sous un graffiti porno à l'intérieur d'une toilette pour hommes, sur un billet de banque.
Partout ses petits personnages se répandent, telle une armée absurde.
Soudain, elle se lève et va régler son addition.
Elle met son manteau à gros boutons et se dirige vers la sortie, sans écraser sa cigarette, sans dire bonjour à personne, sans un regard dans ma direction.
Elle est partie.
J'ai le cafard.
Ça suffit pour aujourd'hui, je rentre.

Avant