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Tous les textes, sauf indication contraire: © Jean Robert Bourdage 2012 - 2019

6.4.11

Une inconnue

C’était la première fois qu’elle s’adressait au groupe. Pourtant elle était là chaque semaine. D’un trait, elle nous annonçait qu’elle cessait sa médication, ses consultations et que probablement ce serait sa dernière présence ici, qu’elle cessait le combat, qu’elle laissait la maladie gagner.
On ne l’aurait pas crue malade, à première vue, elle n’avait rien de l’image physique que l’on se fait des femmes qui souffrent de ce trouble. C’était peut-être ça le problème; personne ne la prenait au sérieux en dehors du centre, ni ses parents, ni ses proches. Son corps était le meilleur déguisement du monde. Et je le voulais. Je la voulais. Pas pour discuter, nous n’avons probablement rien en commun, pas comme amie, peut-être comme alliée, des alliés aux ennemis opposés. Non, je la voulais, nue, dans mes bras. La possession. Je voulais qu’elle s’abandonne à moi, avec sa peau magnifique et sa bouche faite pour embrasser. C’est mon secret depuis la première rencontre. Je n’ose rien dire. J’aurais plus de chance avec une cousine lors de funérailles que dans ce groupe. Mais je la garde dans mon champs de vision, et m’assieds en face d’elle, chaque semaine.
Je la devine en quête d’absolu. Je l’imagine amoureuse de l’intensité, que ce qui ne demande pas un investissement total n’en vaut pas la peine. Elle est de celle qui veut découvrir un continent perdu, et ce soir, elle veut tout lâcher.
L’animatrice lui demande «Oui mais, tu veux vivre?». Elle répond «oui». La question lui a fait un effet d’électrochoc, et le temps qu’elle a mis à répondre me fait croire qu’elle y a vraiment réfléchi. Elle n’est pas de celles avec des réponses pré-fabriquées.
Je ne connais pas cette jeune femme. Je ne comprends pas sa maladie. Mais je la comprends, elle.

Avant