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Tous les textes, sauf indication contraire: © Jean Robert Bourdage 2012 - 2019

29.8.12

Surveillance



La camionnette banalisée était cette fois-ci stationnée du côté est. Ses deux occupants étaient là depuis plus de 6 heures déjà.


Paul: Crounch crounch

Derek: Comment tu fais pour manger toutes ses saloperies?

Paul: Quelles saloperies?

Derek: C'est ton troisième sac de chips depuis ce matin.

Paul: Eh, oh. On parle ici de croustilles de maïs biologique cuite dans l'huile d'olive pression à froid.

Derek: Alors là, ça change tout.

La radio se mit à grésiller.

Radio: 10-45. 10-45.

Paul: 10-45 à l'écoute.

Radio: Le pigeon vient de quitter son domicile. Vous devriez avoir un contact visuel sous peu.

Paul: Bien reçu, merci. (À Derek) Il arrive.

Derek: Vraiment?

Paul: T'as pas entendu?

Derek: Ben oui, tiens, j'ai entendu. Mais je savais pas ce que ça voulait dire. Le bruit des croustilles m'a abruti l'esprit.

Paul: Ouf, t'es tendu, toi. T'as besoin de vacances.

Derek: Je reviens de Fort Lauderdale. Deux semaines de rêves avec la belle famille, ma femme qui veut retourner aux études pis ma plus vieille qui découvre sa sexualité en écoutant de la musique rap. Je suis tellement zen que mes cheveux poussent en bonsaï.

Paul: Sérieux, t'as un problème.

Derek: Je ne vois pas du tout de quoi tu parles. On est assis à longueur de journée dans une van non climatisée; on surveille un gars qui, potentiellement, a un client qui, selon un indicateur pour le moins douteux, aurait peut-être des liens avec un réseau de faussaires d'oeuvres d'art, oeuvres qui, en les regardant, convaincraient le dalaï lama de s'enrôler dans l'armée; tout ça pour un sergent qui se préoccupe plus de gravir les échelons que d'attraper des criminels. Pis on m'a assigné un partenaire dont la majorité de la conversation est "crounch crounch". Je vais très bien.

Paul: On a l'air climatisé dans la van.

Derek: Pardon?

Paul: J'ai dit. On a. L'air. Climatisé. Dans. La. Van.

Derek: Tu me niaises?

Paul: Non. Mais on peut pas le mettre, c'est pas bon pour l'environnement. Pis en plus, ça risque de déclencher mes allergies.

Derek: Paul?

Paul: Oui Derek?

Derek: Je voulais te dire à quel point ta conscience sociale m'émeut.

Paul: Merci.

Derek: EILLE LE CAVE! Pars la climatisation!

Paul: Bon, ok. Mais 5 minutes, pas plus.

Derek: C'est vrai que pour chaque minute de plus, y a un glacier qui fond en Alaska et une race d'outardes qui disparaît.

Paul: ...

Derek: ...

Paul: Veux tu un peu de thé vert?

Derek: Oui, bien sûr. C'est la chose que je veux le plus au monde. T'as pas un cd de cithare que tu pourrais faire jouer aussi?

Paul: Je pense que tu souffres du syndrome de l'imposteur.

Derek: De kossé?

Paul: Le syndrome de l'imposteur. C'est quand tu penses que t'es pas assez compétent pour ton travail pis que t'as peur que les autres s'en rendent compte. Ça arrive aussi aux gens qui pensent que leur emploi est pas assez utile pour la société.

Derek: Votre diagnostic, docteur, est d'une précision troublante. Que me prescrivez-vous?

Paul: Dieu que t'es con.

Derek: Non sérieux, t'as mis dans le mil. Je ne me sens pas à la hauteur de noter sur un calepin les allées et venues d'un homme dont les habitudes sont tellement ancrées qu'on pourrait régler sa montre sur lui. T'as raison. Ce soir, je tape ma lettre de démission et je vais faire du porte à porte pour Greenpeace. Je vais commencer par chez vous. C'est quoi ton adresse?

Paul: Tais-toi. Je veux rester concentré.

Derek: ...

Paul: ...

Derek: ...

Paul: crounch crounch

Derek: ARRÊTE AVEC TES OSTIES DE CHIPS!

10.6.12

L'entonnoir juin 2012



Le revolver est là, devant moi, sur la table à café. Un paquet de Lucky Strike entamé à côté. J’avance la main, lentement, en gardant un oeil sur Sven. Il ne bronche pas. Je prends une cigarette et l’allume avec mon propre briquet. Sven est toujours immobile, assis sur le petit tabouret près de la porte, une main sur sa plaie à l’abdomen, l’autre crispée sur son Lüger, pointé vers le sol. Il a le regard vitreux de ceux qui semblent sur le point de mourir. Il n’en demeure pas moins dangereux.

La cendre de ma cigarette tombe accidentellement sur le canapé. “Merde!” Je dis. Aucune réaction de Sven. Tiens donc. Je me décide à me lever doucement.

Sven. Impassible.

J’avance le plus silencieusement du monde vers lui. Son regard demeure fixé sur l’endroit où j’étais assis. Ça se confirme. Je porte deux doigts à son cou pour me rendre à l’évidence: Sven n’est plus.

Au moment où mes doigts relâchent la pression sur son cou, le Lüger tombe au sol et fait feu. Un bruit d’enfer dans la petite pièce. Je reste immobile, épiant les sons du corridor. Il semble qu’une porte vient de se refermer en vitesse, mais ça semble loin.

Je fouille l’intérieur de la veste du danois et en retire la fameuse enveloppe jaune. Je la glisse dans la poche de mon pardessus. Je m’approche de la porte. Verrouillée. Je tâtonne le pantalon du défunt, à la recherche d’un porte-clés, quand les bruits de pas se rapprochent de la pièce.

Penser. Agir. Rapidement.

Je mets la main sur la plaie de Sven et je répend du sang sur ma chemise, à la hauteur du foie. Je mets aussi du sang sur les commissures de mes lèvres.

Les pas sont tout près.

Je retourne m’asseoir à ma place sans faire de bruit. Je prends position sur le canapé, ma main gauche, ensanglantée, sur mon flanc droit, partiellement cachée par mon pardessus, ma tête légèrement inclinée vers l’arrière.

Les pas sont derrière la porte. Une voix masculine parle dans une langue que je ne connais pas. Une clé s’insère dans la serrure.

Je retiens mon souffle. Je suis mort.

Le revolver est là, devant moi, sur la table à café.

23.5.12

L'entonnoir, mai 2012



Je t’écris à toi, l’Iscariote, malgré nos différents, parce que le temps presse.

Je n’en ai plus pour très longtemps. Une mort lente et douloureuse m’attend. Mais je garde espoir que la Judée sera sous peu libérée du joug des Romains.

Faible et enchaîné, je m’en remets donc à toi. Tu dois convaincre le Nazaréen d’entrer à Jérusalem et d’attiser le soulèvement du peuple contre l’oppresseur.

À en croire tes compte-rendus, il serait un homme extraordinaire, mais j’ai peine à croire sur parole tout ce que l’on raconte à son sujet. Pourtant, une partie de moi veut croire. Quel allié incroyable il serait!

Il est donc impératif qu’il s’oppose aux Romains, les confronte. Je sais que la tâche est lourde et les conséquences immédiates seront sans doutes dévastatrices, mais j’ai confiance que sous peu, avec ton aide et le sien, la Judée sera libre et que des décennies de paix embrasseront ses enfants.

Cette pensée, à elle seule, me donne la force nécessaire pour affronter mon exécution imminente.

Va, Judas, et devient le héros que la destinée t’a prescrit.

(Un de mes hommes te remettra 30 pièces d’argent, utilise les à ta guise)

Nous nous reverrons dans l’autre monde.

Barabbas


6.4.12

L'entonnoir, avril 2012

L'Entonnoir (groupe d'écriture mensuel)

Tu regardes l'album photo et tu ne ressens rien. Tu es né le 15 juillet 1964. Tu n'as évidemment aucun souvenirs de cette journée. Mais tu l'acceptes comme vérité. Tu n'as aucun souvenirs de ce jour, et ça ne te surprend guère, mais ce qui te surprend, c'est qu'il faudra attendre 5 ans avant que ton premier souvenirs apparaisse, flou, très flou, un pot de peinture qui se renverse sur ta tête, la peinture qui recouvre entièrement ton visage et une partie de ton corps. Tu ne te souviens même pas de la couleur. Blanche, tu supposes. C'était à l'appartement où tu as grandi, dans un quartier ouvrier de Québec; un petit quadrilatère isolé du reste de la ville, trois rues horizontales, deux rues verticales. Un immense monastère franciscain d'un côté, une école dirigée par des religieuses de l'autre. Un boulevard que tu n'as pas le droit de traverser devant, et le cap donnant sur la basse-ville derrière, avec l'horizon. Tu aimes l'horizon. Ta maison est sur le bord du cap.

Tu as beau regarder ces photos d'avant ce souvenirs, tu as beau reconnaître les gens sur le portrait, rien de l'entourage ne t'est familier. C'est une autre maison. Qui devait être la tienne, avant. Tu regardes une photo de toi et ton père, où tu lui prends le bras, assis autour de la table à manger, et il te sourit. Il y a un gâteau d'anniversaire sur la table, et même ça, ça ne te dit rien. Tu en conclus tout de même que ce doit être le tien, puisque c'est l'été, puisque toi et ton père êtes en manches courtes, et que son anniversaire à lui est en novembre.

Le prochain souvenirs qui t'apparaît n'est pas en photo, lui non plus. Il se passe ailleurs, au chalet, à Cap Rouge, à l'époque où Cap rouge n'était qu'un terrain de golf et des chalets. Ce souvenirs est encore une fois une mésaventure; tu t'es pendu, accidentellement, après le cordon qui allume l'ampoule au plafond. Tu ne voulais pas mourir, tu n'as jamais voulu mourir, mais tu étais curieux. Ta mère t'a décroché. Tu as porté la marque du cordon autour de ton cou pendant des jours. Tu avais 5 ans, tu crois. Ce doit être ça. Tu te souviens de la panique de ne plus pouvoir respirer, du cordon qui entre dans ta chair. C'est lointain, mais tu te souviens, c'est moins flou, du moins.

Et ensuite, tout s'embrouille; des tas de souvenirs mais dans le désordre, comme un casse tête éparpillé sur la table de jeu. Tu as saisi les morceaux qui le délimite, tu as construit le cadre, mais pour ce qui est du reste, ce ne sont que des ilôts épars de morceaux assemblés, flottants sur la table, un vide circonscrit.

C'est ta vie, là, sur la table de tes pensées. Tu t'appelles Benjamin Smith. Tu dis que tu t'appelles Benjamin Smith, mais ce n'est pas ton vrai nom. Puisque tu as décidé de tout remettre en question, tu as aussi mis ton nom en suspend.

Tu hésites à mettre de l'ordre dans tout ça. Je te comprends, la tâche semble immense. Tu hésites. Peut-être vaut-il mieux de continuer d'avancer, simplement, jusqu'au jour où tout s'arrête. Une vie linéaire, comme les chronologies des livres d'histoire. Il y a tellement d'histoires, et tellement de gens pour décider de ce qui restera, et de rejeter l'ordinaire. Peut-être à force de rejeter l'ordinaire devenons-nous esclaves de la nouveauté, des bouleversements, du merveilleux et de l'horreur. Et pourquoi pas l'ordinaire?

Ok, tu es Benjamin Smith. Je te l'accorde. Tu es ordinaire. Tu as une vie ordinaire, tu manges de la nourriture ordinaire, tu as des loisirs ordinaires. Tu n'as pas découvert d'étoiles, tu n'as pas exploré la forêt amazonienne, tu n'as pas libéré Algers, tu ne trouveras pas de remède contre le cancer. Une vie ordinaire, simple, puis mourir doucement, un jour, dans des circonstances banales.

Si c'est ce que tu veux, alors oui, tu es Benjamin Smith, et tu poursuis ton chemin, en marchant doucement, sur un sentier battu. Mais combien de temps te mentiras tu à toi-même? Tu es Jospeh, tu devais être Joseph, mais une faute de frappe sur ton baptistère en a décidé autrement. Tu es Jospeh, une faute née d'une faute, et il faudra que tu te réveilles un jour; tu as 47 ans, et tu attends encore que ta vie commence.

9.3.12

Une fable inédite de LaFontaine retrouvée dans une malle

(Le texte est un exercice de style que j'ai composé pour le groupe L'Entonnoir, où nous devions faire d'un violon et un arrosoir les éléments centraux d'une histoire)


(AFP) - Un manuscrit non publié du célèbre fabuliste a été retrouvé dans une malle, suite à des travaux de réfection dans un immeuble abandonné du IIIe arrondissement de la capitale française. Plusieurs autres textes inachevés et notes feraient aussi partie du lot. La découverte fut faite par un maçon, qui a immédiatement averti les autorités.  Le manuscrit a immédiatement été confié à l’Académie Française qui l’ajouta à la collection du Trésor National. Bien que considéré comme une oeuvre mineure, il semblerait que le texte soit authentique, et témoignerait de l’état d’âme de l’auteur lors des derniers jours de sa vie.

Le violon et l’arrosoir

Au fond d’un jardin, sous un banc, oublié, gisait un violon.
Il était vieux, les cordes usées, et n’avait que paroles pour seul son.

À ses côtés, était un arrosoir, debout, abandonné.
Il avait mine basse, et quoiqu’étanche, il était tout rouillé.

Après des mois de silence, le violon s’adressa à l’arrosoir, d’une voix affaiblie
«Vieillir est terrible. Jadis, de moi, on prenait soin.» Commença l’instrument aigri.
«Et la musique qui sortait de mes entrailles était un son divin»
«Mais voilà, je suis seul, sans archet, sans virtuose, sans écrin.»

Sur quoi, l’arrosoir rétorqua: «Comme si vous saviez à quel point je vous comprends»
«Moi qui me sentait si utile, chaque jour, chaque matin d’arroser le potager»
«De voir tous ces légumes grandir, les fruits, les fleurs, tels mes petits enfants»
«Mais, c’est terminé, je ne contiens plus qu’eau de pluie, au point de déborder»
«Ah quel triste sort quand j’y pense!»
«Vous qui nourrissiez l’âme, moi qui remplissait les panses»

Tout à coup, du violon, il vint une idée.
«Arrosez-moi, cher ami, si je peux vous demander?»

«Vous arroser, très cher? Mais ce serait votre fin!»
«Et loin de moi l’idée d’être de ce sombre dessein!»

«Arrosez-moi!» répéta-t-il. «Que peut-il m’arriver de pire?»
L’arrosoir se vida sur le violon, qui de suite, se mit à faiblir.

«Oh non!» dit l’arrosoir. «Vous mourez, et je serai seul avec mon chagrin»
Et le violon de répliquer «La nuit sera dure, certes, mais vous verrez au petit matin»

En effet, comme le dit le violon, au réveil, l’arrosoir fut surpris.
Du violon, de partout, sortaient des pousses et bourgeons
Des racines l’ancraient au sol; l’arrosoir fut ravi.
Et après chaque averse, chaque ondée, il arrosa le violon.

De nos jours, du violon, il ne reste plus rien.
Mais un arbre, colosse, avait envahi le jardin.
Et le son du vent dans ses branches, était ma foi, fort bon.
Musiciens s’assoyaient à ses pieds, cherchant l’inspiration.

Et pour remercier l’arrosoir de lui avoir donné seconde vie
Il l’entoura de son écorce, et le fit grandir avec lui.
Une amitié est née, éternelle et indiscociable
Et c’est sur ce vers, braves gens, que je vous livre ma dernière fable.

(Le texte est un exercice de style que j'ai composé pour le groupe L'Entonnoir, où nous devions faire d'un violon et un arrosoir les éléments centraux d'une histoire)

12.2.12

Bazar, commérages et anachronismes (Pièce en deux actes)

Nazareth, an 33. Marché public d’un petit bourg. Les marchands se préparent. Côté jardin, une table où s’affairent 5 femmes: Jocaste, Jasmine, Viola, Petra et Albertine. Près d’elles, une table avec un vieil homme, Jérobadiah, sénile gentilhomme. Entre Zebda, de très mauvaise humeur.

Petra 
T’en fait une tête? toujours sans nouvelle de ton Matthieu?

Zebda
Ne m’en parle pas! Putain de mari qui quitte un emploi stable, bien rémunéré, pour suivre un parfait inconnu. Je reviens du bureau du fisc, où il bossait, et on m’a laissé poireauter dans l’antichambre. Même l’intendant, que Matthieu connaissait, n’a pas voulu me recevoir. Je voulais faire taire le bruit qui court, le convaincre qu’il allait revenir à ses sens. Pfft! C’est un laquais qui m’a annoncé que son licenciement était irrévocable. J’ai donc rassemblé tous ses effets personnels, et je les offre au premier venu.

Petra
Bienvenue dans le club.

Albertine
C’est un commencement. Tu finiras bien par te trouver quelqu’un d’autre.

Petra 
T’as des nouvelles de Marc?

Albertine
Toujours obsédé par cette idée d’écrire la biographie de ce type. Ce sera un best seller, à l’écouter parler.

Viola
C’était prévu. Le décapité l’avait annoncé.

Zebda
Ouais ben, l’horoscope aussi figure toi.

Petra
N’empêche que ce Jésus, quel culot! Même sa mère se dit vierge à présent.

Albertine
Faut la comprendre, la pauvre. Quand tu mets au monde un enfant qui plus tard demande à se faire appeler «Le Fils de l’Homme» ça joue sur l’égo d’une mère.

Jocaste
Ben je le comprends un peu parce que c’est certainement pas Joseph qui...

(Jocaste se tait soudainement)

Petra
Tu sais quelque chose qu’on ignore?

Zebda 
Allez! Parle!

(Jocaste, prise dans sa propre souricière, fond en larmes)

Jocaste 
Trois mois j’ai suivi Jean, mon époux. Trois mois pendant lesquels il ne m’a pas touchée. Je suis une femme! J’ai des besoins comme tout le monde. Alors je suis revenue, et un soir, j’avais trop bu, et j’ai remarqué ce type au bar, qui semblait avoir mauvaise mine... Alors...

Zebda
Alors quoi?

Jocaste
Ben on a discuté, et puis on est allé chez lui. On s’est embrassés, et ben, vous devinez la suite.

Petra
Oh la la...

Jocaste
Mais il n’a pas... Enfin, il ne pouvait pas... Il arrivait pas à...

Zebda
Ouais bon, ça va. On a compris.

Viola
Je me disais aussi que c’était soudain, ta passion pour la menuiserie.

(Silence. Jerobadiah s’approche d’elles, pensif)

Jerobadiah (avec une évidente difficulté d’élocution)
Aaaah... Écoute moi, Zebda, fille de Zébédé, et toi, Petra, fille de Coralicos, tout ça va mal finir. Leur petit groupe a fait la connaissance de Judas. Et Judas, à cause de ses connections, et ben, il est fiché chez les Romains.

Jasmine
Il est plutôt mignon, Judas. (Elle glousse)

Albertine
Jasmine, il est temps que tu te trouves un mari respectable.

Jasmine
Oh la la. J’ai bien le droit d’aimer les ténébreux délinquants.

Zebda
Ouais ben, viens pas te plaindre à nous si tu te retrouves dans des emmerdes.

(Entre Livia, hurlant. Tous forment un rassemblement autour d’elle)

Viola
Des mauvaises nouvelles de Simon?

Livia 
Hein? Quoi? non. J’ai tout fait pour le retracer, mais rien. Il ne veut plus me voir, il aurait même fait changer son nom.

Zebda
Ben alors?

Livia
Jésus a été arrêté!

Toutes
Hein?

Livia
Oui. Par les Romains.

Jerobadiah
Je vous l’avais dit.

Zebda
Mais oui, mais oui, tu es très fort.

Albertine
Et les autres?

Livia
Ils se cachent. Mais Judas demeure introuvable. Personne ne s’explique sa disparition.

Jasmine
Oh non...

Fin de l’acte I

7.2.12

Texte avec séquence de mots imposés (caractères gras)

LA DETTE


Je m’étais toujours dit que jamais je ne devrai quoi que ce soit à Lalancette. C’est un dangereux, et de dire que ses méthodes sont brutales est un euphémisme. J’opérais discrètement alors que lui et sa bande vivaient de rapines, extorsions et pillages. Sa tête était mise à prix, pas la mienne. Mis à part quelques malfrats et revendeurs, Paris ignorait tout de mon existence. Je ne pouvais pas savoir qu’il s’agissait de sa tante! J’ai retourné la montre et les bijoux, aussi discrètement que je les avais dérobés. Mais non, pour Lalancette, ça ne suffisait pas. Il en allait de son honneur. Le mot m’aurait fait rire si ce n’était que Jorge, son coupe-gorges de service, ne me pointait sa lame sous le menton.

Me voici donc, quatre jours plus tard, dans ce fiacre, en direction de la ville de ma naissance -ville qui en fait n’est qu’un bourg, mais voilà, mes ex concitoyens sont fiers, que voulez-vous - en train de répéter mon rôle, déguisé avec mes plus beaux habits de gentilhomme; je serai Gaspard Cointreux, de la firme du même nom, en visite d’affaire afin d’évaluer la collection familiale de bijoux d’Armand DuMoucher, nobliau en mal de liquidités et propriétaire, sans le savoir, d’une broche en or ayant jadis appartenue à Louis XVI, alors qu’il avait encore toute sa tête, broche dont je devrai le soulager.

Je chasse de mon esprit les circonstances qui m’ont amené à venir ici, car elles me mettent dans une humeur exécrable et il me serait donc impossible de jouer convenablement mon rôle sans éveiller de soupçons.

Je me suis arrangé pour partir en fin d’après-midi, afin de m’assurer d’arriver à destination en soirée. Je passerai la nuit chez mon hôte, et l’évaluation n’aura lieu qu’au petit matin. Si tout se passe comme prévu, lorsque DuMoucher se réveillera, je me serai déjà éclipsé avec mon butin.

Je descends donc du fiacre, portant moi-même ma mallette (elle ne contient que des outils de cambrioleurs) et je cogne à la porte. On m’ouvre et je me présente. La soubrette à moitié endormie me conduit jusqu’à l’antichambre, où elle me demande d’attendre. Je visualise l’endroit. Orgon, un lointain cousin habitant la ville, tire-laine de profession, connaissait l’endroit et m’en avait fait une description détaillée.

Un bruit de pas dans l’escalier central me ramène à la réalité. Un laquais à la livrée riche mais passablement usée, vient à ma rencontre.

«Ah! Monsieur Cointreux! J’espère que vous avez fait bonne route. Monsieur DuMoucher vous prie de bien vouloir l’excuser de ne pouvoir vous accueillir personnellement, sa femme est souffrante... encore... hélas... oui. Laissez moi donc vous conduire à votre chambre. Monsieur se joindra à vous pour le petit déjeuner.»

Je me suis donc mis à suivre cet homme qui avait la faculté étonnante de pouvoir tenir une conversation à lui tout seul, tout en notant la sonorité du plancher et le mouvement des divers membres du personnel. Il s’arrête devant une porte, l’ouvre et me fait signe d’entrer, en souhaitant que tout soit à ma convenance. J’examine la chambre, une pièce aux dimensions modestes, sobrement meublée, et dont la fenêtre donnait sur la ruelle adjacente.

«C’est parfait!» lui dis-je, avec peut-être un peu trop d’enthousiasme.

L’homme fait une moue qui doit probablement faire office de sourire et part, en refermant la porte derrière lui. Je dépose ma mallette, je retire mon manteau et je m’allonge sur le lit, position idéale pour réfléchir. Je devrai attendre quelques heures avant de remplir ma mission, question de m’assurer que toute la maisonnée soit profondément endormie. Je souris. Comme commencement, on a déjà vu pire. Et si tout se passe comme prévu, je m’acquitterai de ma «dette» envers Lalancette sans trop de problème. Je prends un papier et une plume et je trace un plan de la maison, telle que me l’a décrite Orgon. Je décide du chemin à prendre. Je crois que j’arriverai à me rendre à la voûte sans trop de mal, en évitant les appartements des domestiques (on ne sait jamais trop ce qu’ils font la nuit ceux-là). Je sors de ma mallette mes chaussures à semelle d’éponge, de conception personnelle -j’en suis plutôt fier- et je me chausse, précaution plus que nécessaire. Je prends aussi un sac rempli de chiffons et les différentes pinces, clés et tiges de mon équipement de cambrioleur. Je laisse passer encore une heure et je me mets à la besogne.

Tout va bien, le corridor est vide. Il en est de même pour l’escalier et le hall. Je trouve sans mal la porte dérobée qui mène à la voûte (Merci Orgon), et je descends quelques marches, et je referme la porte derrière moi. J’attends quelques secondes que mes yeux s’habituent à la pénombre et je poursuis ma descente. Une fois arrivé dans l’unique pièce, j’arrive à discerner le petit coffre encastré dans le mur de pierre. Je me dirige vers celui-ci lorsque j’entends un bruit de porte qui s’ouvre et je devine une lueur venant de l’escalier!

Un piège! On veut me prendre sur le fait! Je me suis jeté tête première dans une souricière! Je maudis Lalancette pour cette habile vengeance, quand, pensif, je me dis que tout ceci est bien trop élaboré pour cette brute. Puis une voix, grasse et au ton bon enfant, me rassure immédiatement.

«Je n’en ai que pour quelques minutes, Nénette. Je veux simplement m’assurer que tout est en place pour Monsieur Cointreux demain matin.»

Sans mouvement brusque, je me dirige vers l’immense armoire de bois et me faufile derrière. Un homme gras, aux joues rougies, avance lentement à la lumière d’une lampe vers la grande table au centre de la pièce. C’est DuMoucher. Il avance avec une certaine difficulté, sans doute à cause de sa goutte (autre détail fourni par Orgon; il serait devenu un criminel respectable si son amour du vin ne lui avait donné la tremblotte). Et quelle n’est pas ma surprise de voir le nobliau ouvrir le coffre, en sortir tout le contenu, et le disposer bien à vue, sur la table. J’en suis presque déçu. Moi qui me suis mis à la cambriole pour le sport.

Péniblement, DuMoucher remonte l’escalier, sort et referme la porte, me replongeant dans une quasi obscurité. J’attends quelques secondes à nouveau et je me dirige vers la table. Je dépose presque la totalité du contenu du coffre dans le sac, en prenant soin d’entourer chaque pièce d’un morceau de chiffon, sauf pour la fameuse broche, que je glisse dans la poche de ma veste. Une fois l’opération terminée, je remonte l’escalier avec prudence et après m’être assuré que la voie est libre, je retourne dans ma chambre.

Rapidement, je redeviens Gaspard Cointreux. Je dépose chaussures, équipement et butin dans ma mallette, sauf pour la broche que je conserve précieusement sur moi. Lentement, très lentement, j’ouvre la fenêtre qui donne sur la ruelle et je grimpe sur le toit.

Ce que je vois dans la ruelle est un véritable rassemblement d’ivrognes, de femmes de peu de vertu et de leurs clients potentiels. Je reste dans la pénombre et j’amorce la descente du mur. Me voilà au sol, personne ne m’a vu...

Merde! Une jeune brunette au sourire narquois vient de m’apercevoir. Elle jette un coup d’oeil à la fenêtre restée ouverte et se dirige vers moi.

«Tiens, tiens» me dit-elle. «Voici donc un gentilhomme qui s’en va tromper sa belle»

Elle sourit de plus belle, tout en continuant d’avancer. Elle a un corps fait pour l’amour et ses yeux pétillent d’une ardente lubricité. 

«Du tout, madame.» je lui réponds. «Je cours la rejoindre. C’est que mon père, fervent catholique, veut me garder puceau jusqu’à la noce».

Je fais un pas vers la rue pour rejoindre mon fiacre. Je dois être déjà loin lorsque DuMoucher constatera ma disparition. La brunette me bloque le chemin en collant sa poitrine contre la mienne. Elle me fixe du regard.

«Je sais reconnaître un puceau, monseigneur, et vous n’en êtes pas un.» Murmure-t-elle.

Son haleine même a de quoi aviver tous les désirs. Comme il serait facile de succomber.


Elle poursuit: «Passez la nuit avec moi, et je vous apprendrai des choses dont votre belle vous sera éternellement reconnaissante. Mon nom est Stella.»

Dans un moment de délire, je pose mes mains sur ses hanches et je regarde en direction du fiacre.

«Malheureusement, je suis attendu.» et je la repousse délicatement, plongeant une dernière fois dans son regard. Elle fait une petite mine déçue, ce qui la rend encore plus désirable. Elle me baise la joue. «Adieu, alors» dit-elle.

Je lui souris et je me dirige vers le fiacre. J’y monte et fait un clin d’oeil au cocher, signal convenu que tout s’est bien déroulé, et nous nous dirigeons dans la nuit, vers Paris.

Je sors une flasque et prend une gorgée de cognac. Je me détends. Une fois les limites de la ville loin derrière nous, j’inspecte sommairement le contenu de ma mallette. Rien de bien grande valeur. Ce DuMoucher n’y connaît rien en joaillerie.  Je sors la broche de la poche de ma veste et .... Je l’avais pourtant mis dans cette poche?!? À moins que ce ne soit celle-ci? Non. Mais qu’est-ce que c’est que cette carte? Je sors de ma poche une carte de visite sur laquelle est écrit à la main:

Cousin Orgon vous salue.
Vous auriez dû passer la nuit avec moi
Stella. xx

6.2.12

Since the day I won the lottery, I became very afraid of lightnings.

Avant