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Tous les textes, sauf indication contraire: © Jean Robert Bourdage 2012 - 2019

22.3.11

L’INTERROGATOIRE (Maigre hommage aux Monty Python) - 1999

Sketch à 4 personnages.

Détective 1
L’avocat
Paul Bernatchez (l’inculpé)
Détective 2

Notes: tous les personnages parlent avec un français international.   

L’action se passe dans la salle d’interrogatoire d’un commissariat de police. L’éclairage est cru. Il n’y a qu’une seule table et trois chaises. Un magnétophone enregistre tout. Sont présents: L’avocat et l’inculpé (Paul Bernatchez, assis), ainsi que le Détective 1, debout, en bras de chemise, holster en vue. Il y a de la fumée de nombreuses cigarettes (déjà fumées), et l’on peut deviner une étouffante chaleur. Détective 1 est à bout de patience, l’inculpé est nerveux, seul l’avocat semble parfaitement détendu. Un long silence inconfortable pendant lequel Détective 1 ne lâche pas Paul Bernatchez des yeux.


Détective 1- Ok Bernatchez (tchèse)... Je commence sérieusement à m’emmerder.

L’avocat- J’aimerais vous rappeler que le nom de mon client se prononce Bernatchez (tché)

Détective 1- Si tu commençais par me dire ce que tu faisais la nuit du douze...

L’avocat- Mon client...

    L’avocat n’a pas le temps de terminer sa phrase que Détective 1 le flingue sur-le-champ. Il tombe raide mort.

Paul Bernatchez- (sincère) Merci...

    Un temps...

Détective 1- Écoute moi bien mon petit merdeux, tu vas me répéter ton emploi du temps dans la nuit du 12 au soir...

    Paul Bernatchez demeure impassible.

Détective 1- Pour l’enregistrement;  le suspect refuse de répondre.

    Détective 1 se met à tourner en rond comme pour se calmer en répétant “OK” sans cesse. Puis, il se rend près du corps de l’avocat et l’observe. Aucun remord.

Détective 1- Tu lui devais combien?

Paul Bernatchez- presque 3000...

Détective 1- Bon, j’t’ai rendu service, tu pourrais toi aussi...

Paul Bernatchez- (fait signe que non de la tête)

Détective 1- Pour L’enregistrement; le suspect fait non de la tête.

    Détective 1 sort un flasque d’une poche de son pantalon, de l’autre poche, il sort une bouteille de pilule, en avale plusieurs, puis fait descendre ça avec son petit whisky. Petit temps. Puis arrive Détective 2. C’est un homme de maigre stature, vif et au léger sourire.
Détective 1- Pour l’enregistrement; l’inspecteur Leclerc vient de faire son entrée.

    Les deux détectives se consultent à voix basse dans un coin. Détective 1 met Détective 2 à jour. Sans se déplacer, Détective 2 jettera un coup d’oeil sur le corps de l’avocat, approbateur. Puis Détective 2 va s’asseoir face à Paul Bernatchez, pendant que Détective 1 remet son veston.

Détective 1- (pour Détective 2) Bon, moi je rentre... Allez, bonne chance!

Paul Bernatchez- Merci!

    Détective 1 s’arrête sec lors de la boutade de Paul Bernatchez. Détective 2 lui fait un signe et Détective 1 sort.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le sergent L’Heureux vient de quitter la salle d’interrogatoire.

    Un long silence pendant lequel Détective 2 regarde fixement Paul Bernatchez. Très long silence. Plus long que ça encore.

Paul Bernatchez- euh... vous avez pas des questions?

Détective 2- Seulement si vous avez des réponses. Sinon ce serait du gaspillage de mots, et comme je suis payé à la ligne...

    Temps.

Détective 2- Alors que faisiez-vous la nuit du douze?

    Temps.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect refuse de répondre. (Temps). Quelle pointure de chaussures portez-vous, Monsieur Bernatchez?

Paul Bernatchez-  Pardon?

Détective 2- Nous avons retrouvé des traces de pas près du cadavre, et les empreintes sont forcément d’une certaine longueur... Faut vérifier. Ça ne peut pas vous condamner mais au moins on a un début de conversation... Alors?

Paul Bernatchez- Alors quoi?

Détective 2- Vos chaussures?

Paul Bernatchez- (Regarde ses chaussures) quoi?

Détective 2- Quelle pointure de chaussure portez-vous?

    Long silence (encore? eh oui...). Tout à coup, et tout à fait par surprise, Détective 2 se jette sur le pied de Paul Bernatchez. Chamaillage. Paul Bernatchez s’arrange pour que ses deux pieds restent bien à plats sur le sol et couvre ses chaussures de ses mains du mieux qu’il peut. Détective 2 ne parvient pas à obtenir son information. Détective 2 retourne s’asseoir et reprend son souffle. Paul Bernatchez fait de même. Un temps. NB En aucun temps Détective 2 ne montre ou n’a montré des signes d’impatience. Détective 2 ouvre un dossier et y consulte des documents.

Détective 2- Paul Bernatchez... hum... arrêté pour voie de fait contre un clown en 1984... (on sent que le stress de Bernatchez monte d’un cran). En effet, Pistachio a dû séjourner 5 jours à l’hôpital. Simplement parce qu’il vous avait imité en train d’éternuer pendant un festival, en pleine rue... Auriez-vous peur du ridicule, Monsieur Bernatchez?

    Paul Bernatchez montre une grande nervosité. Il fait une grimace.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect fait une grimace.

    Un temps.

Détective 2- Revenons à nos moutons... Quel était votre emploi du temps dans la nuit du 12 au 13?

    Silence.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect a mauvaise haleine.

    Silence.

Détective 2- Pour la dernière fois, quelle pointure de chaussure portez-vous?

    Silence. Rictus de Détective 2.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect se couvre la bouche avec la main, se tape sur la tête avec l’autre, grimpe sur sa chaise et imite un canard.

Paul Bernatchez- Quoi? mais vous...

    Détective 2 l’interrompt en lui donnant une petite tape sur la main.

Détective 2- Avez-vous déjà été propriétaire de ce poignard? (Détective 2 montre un poignard taché de sang dans un Ziplock).

    Mutisme de Paul Bernatchez, mais la pression monte.

Détective 2- Pour l’enregistrement, le suspect fait un double salto arrière avec vrille inversée et se fout une olive dans chaque narine.

    On sent que Paul Bernatchez va craquer d’un instant à l’autre.

Détective 2-
Votre alibi, Madame Bruchési, qui comme on le sait, est aveugle sourde et muette, a été diagnostiquée Alzheimer et végétarienne; ce qui rend votre alibi du souper en tête-à-tête à la Cage au Sport bien mince... Si vous me disiez ce que vraiment vous avez fait la nuit du 12...

    Silence.

Détective 2- Pour l’enregistrement, (imitant soudainement Édouard Carpentier) le suspect monte sur le troisième câble et se jette sur le cadavre de son avocat, oh lalala, 145 livres à la volée, ça fait mal, ça fait très mal! oh mais il sort quelque chose de son maillot, l’arbitre demande le break, mais Bernatchez, furieux, mord le visage de son adversaire...

Paul Bernatchez- ASSEZ! (il éclate en sanglots) 10 1/2...(temps)... je chausse du 10 et demi... Salaud!

    Détective 2 s’approche lentement et lui tend un mouchoir.

Paul Bernatchez- Je rentrai chez moi, après le travail, à pied comme à mon habitude, le pas rapide, il avait plu tout l’après-midi et ça menaçait de reprendre à tout moment. J’étais presque rendu chez moi, je venais de croisé cet hurluberlu de Paradis, qui habitait à quelques pas. Puis il se met à pleuvoir, je voulais rester sec, alors je me suis mis à courir; à ce moment précis, un taxi est passé à toute allure dans une flaque d’eau, juste à côté de moi, et j’ai été aspergé... J’étais trempé. Quelques secondes ont passé, puis tout ce que j’entendais, c’était le rire de Paradis, qui se moquait. Il hurlait de rire, complètement inconscient de la pluie qui recommençait à tomber. Il riait et riait. Et puis, tout à coup, tout le monde riait, Paradis, les passants, les chats de gouttière, mon grand frère, Pistachio, ils étaient tous là. Alors, je me suis jeté sur lui. Et j’ai frappé, frappé, frappé. Quand j’ai repris le contrôle sur moi-même, je me suis rendu compte que j’avais tué Jacques Paradis.

Détective 2- Lucien.

Paul Bernatchez- uh?

Détective 2- Lucien Paradis.

Paul Bernatchez- non, Jacques Paradis.

Détective 2- (sortant un papier du dossier) Lucien Paradis, 5’9, 160 lbs, domicilié au 6613 avenue Du Parc...

Paul Bernatchez- non, Jacques Paradis, de la rue De Lorimier, ramoneur.

Détective 2- oh! (Il consulte ses autres dossiers, un petit moment) Je suis vraiment confus, je suis chargé de l’enquête sur le meurtre de Lucien Paradis, marchand de citrons... Toutes  nos  excuses, Monsieur Bernatchez, vous pouvez rentrer chez vous.

Paul Bernatchez- Vraiment?

Détective 2- hmmm... hmmm...! (Détective 2 met de l’ordre dans ses dossiers)

Paul Bernatchez- oh. (Il commence à rassembler ses affaires, se lève et ramasse son veston sur le dossier de sa chaise)

Détective 2- ah... Par contre, on vous demanderait de ne pas quitter le pays, pour qu’on puisse recommuniquer avec vous dès qu’on retrouvera le corps de Jacques Paradis.

Paul Bernatchez- Bien sûr!

    Paul Bernatchez se rend vers la sortie, pose la main sur la poignée, s’arrête un moment puis retourne la tête vers Détective 2. Sur le ton de la confidence.

Paul Bernatchez- Vous savez... Ils servent des salades végétariennes à la Cage au Sport.

Détective 2- Je n’y suis jamais allé, mais je me promets bien de combler cette lacune.

    Paul Bernatchez sort. Fade éclairage. Fin.

Avant