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Tous les textes, sauf indication contraire: © Jean Robert Bourdage 2012 - 2019

29.8.12

Surveillance



La camionnette banalisée était cette fois-ci stationnée du côté est. Ses deux occupants étaient là depuis plus de 6 heures déjà.


Paul: Crounch crounch

Derek: Comment tu fais pour manger toutes ses saloperies?

Paul: Quelles saloperies?

Derek: C'est ton troisième sac de chips depuis ce matin.

Paul: Eh, oh. On parle ici de croustilles de maïs biologique cuite dans l'huile d'olive pression à froid.

Derek: Alors là, ça change tout.

La radio se mit à grésiller.

Radio: 10-45. 10-45.

Paul: 10-45 à l'écoute.

Radio: Le pigeon vient de quitter son domicile. Vous devriez avoir un contact visuel sous peu.

Paul: Bien reçu, merci. (À Derek) Il arrive.

Derek: Vraiment?

Paul: T'as pas entendu?

Derek: Ben oui, tiens, j'ai entendu. Mais je savais pas ce que ça voulait dire. Le bruit des croustilles m'a abruti l'esprit.

Paul: Ouf, t'es tendu, toi. T'as besoin de vacances.

Derek: Je reviens de Fort Lauderdale. Deux semaines de rêves avec la belle famille, ma femme qui veut retourner aux études pis ma plus vieille qui découvre sa sexualité en écoutant de la musique rap. Je suis tellement zen que mes cheveux poussent en bonsaï.

Paul: Sérieux, t'as un problème.

Derek: Je ne vois pas du tout de quoi tu parles. On est assis à longueur de journée dans une van non climatisée; on surveille un gars qui, potentiellement, a un client qui, selon un indicateur pour le moins douteux, aurait peut-être des liens avec un réseau de faussaires d'oeuvres d'art, oeuvres qui, en les regardant, convaincraient le dalaï lama de s'enrôler dans l'armée; tout ça pour un sergent qui se préoccupe plus de gravir les échelons que d'attraper des criminels. Pis on m'a assigné un partenaire dont la majorité de la conversation est "crounch crounch". Je vais très bien.

Paul: On a l'air climatisé dans la van.

Derek: Pardon?

Paul: J'ai dit. On a. L'air. Climatisé. Dans. La. Van.

Derek: Tu me niaises?

Paul: Non. Mais on peut pas le mettre, c'est pas bon pour l'environnement. Pis en plus, ça risque de déclencher mes allergies.

Derek: Paul?

Paul: Oui Derek?

Derek: Je voulais te dire à quel point ta conscience sociale m'émeut.

Paul: Merci.

Derek: EILLE LE CAVE! Pars la climatisation!

Paul: Bon, ok. Mais 5 minutes, pas plus.

Derek: C'est vrai que pour chaque minute de plus, y a un glacier qui fond en Alaska et une race d'outardes qui disparaît.

Paul: ...

Derek: ...

Paul: Veux tu un peu de thé vert?

Derek: Oui, bien sûr. C'est la chose que je veux le plus au monde. T'as pas un cd de cithare que tu pourrais faire jouer aussi?

Paul: Je pense que tu souffres du syndrome de l'imposteur.

Derek: De kossé?

Paul: Le syndrome de l'imposteur. C'est quand tu penses que t'es pas assez compétent pour ton travail pis que t'as peur que les autres s'en rendent compte. Ça arrive aussi aux gens qui pensent que leur emploi est pas assez utile pour la société.

Derek: Votre diagnostic, docteur, est d'une précision troublante. Que me prescrivez-vous?

Paul: Dieu que t'es con.

Derek: Non sérieux, t'as mis dans le mil. Je ne me sens pas à la hauteur de noter sur un calepin les allées et venues d'un homme dont les habitudes sont tellement ancrées qu'on pourrait régler sa montre sur lui. T'as raison. Ce soir, je tape ma lettre de démission et je vais faire du porte à porte pour Greenpeace. Je vais commencer par chez vous. C'est quoi ton adresse?

Paul: Tais-toi. Je veux rester concentré.

Derek: ...

Paul: ...

Derek: ...

Paul: crounch crounch

Derek: ARRÊTE AVEC TES OSTIES DE CHIPS!

Avant