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Tous les textes, sauf indication contraire: © Jean Robert Bourdage 2012 - 2019

23.10.11

Pièce fictive, auteur fictif


Le test du ring (The count of three, 1988)
de Doug Stazensky
traduit de l’américain par Thierry Gadonsa
L’auteur

Doug Stazensky est né à Minneapolis en 1943, d’une mère institutrice et d’un père ouvrier. Études de base, résultats moyens. À dix-huit ans, il quitte sa ville natale pour Los Angeles. C’est là qu’il devient cascadeur, se spécialisant dans les poursuites automobiles. Puis à trente-sept ans, c’est la tragédie; Doug perd l’usage de ses deux jambes à la suite d’une fausse manoeuvre sur chaussée glissante. C’est alors qu’il décidera d’écrire, et d’écrire plus particulièrement pour le théâtre. C’est la révélation. Son oeuvre tourne principalement autour de ses travailleurs de l’ombre qui font en sorte que les héros existent. «Le test du ring» est sa première oeuvre traduite dans la langue de Molière.

Doug Stazensky collabore depuis quelque temps aux scénarios de divers longs métrages à Hollywood, notamment le fameux «Gone in sixty seconds».

La pièce a été créée chez nous en 1998 au théâtre Sganarelle de Lille, dans une mise en scène de Gustave Pion.


Du même auteur
Daredevils (1983)
The Guy who won’t Fall (1984)
Window Breaker (1986)

La pièce

Pour la première fois, l’auteur s’attaque à une institution sacrée de l’Amérique; la World Wrestling Federation. Ce drame en trois actes nous montre l’amitié entre Steve «Eruption» Dallas (jeune étoile montante) et Jake Meighan ( son premier entraîneur, résigné a jouer les masqués inconnus). Stazensky nous montre tous les rouages, et les coulisses de cette organisation tentaculaire qui fait le rêve de bien des jeunes Américains, qui voient en le ring leur seule façon de s’en sortir.

L’extrait

La courte scène présentée ici se situe au début du troisième acte. La scène se déroule dans la loge de Jake Meighan, juste avant un combat de première partie, à Los Angeles. Dégoutté, déprimé, il sait qu’il doit encore perdre ce soir, il n’a plus la cote, il se fait vieux. Il veut recommencer à boire. Il tente de rejoindre Steve qui est en tournée promotionnelle sur la côte Est, mais en vain. Heureusement pour lui, son adversaire de la soirée, Clint «Liberty» Oswald, un chic type, vient lui rendre une petite visite avant le combat.

Personnages

Jake Meighan: Début quarantaine. Un athlète qui vieillit mal.
Clint Oswald: 26 ans. 1m 87. Beaucoup d’avenir. Les femmes l’adorent.

Acte 3 Scène 2

Une modeste loge d’aréna. Lit bunker. Une table et deux chaises. Une affiche; photo d’une fille en maillot de bain. Une porte à jardin. Jake est seul, en sous-vêtements, assis sur le lit, pieds au sol, un téléphone à la main. À côté de lui, sur le lit, est étalé un costume sombre de lutteur. On remarque sur la table une bouteille de Jack Daniel’s (NdT: whisky américain) pas encore débouchée. On entend le cri d’une foule satisfaite dans l’auditorium.

Jake: (au téléphone) ... Ça fait déjà dix minutes que j’attends! ... Mais...
Oui je sais que vous avez du travail, mais je vous répète que c’est important... oui chambre 417... Comment? Personne! Alors essayez le 418... Consultez vos registres, que diable! Ce n’est pas tous les jours que vous avez un client de la trempe de Steve Dallas... Oui... Non... Mais enfin... Oh! et puis merde!

Il raccroche. Il fixe longuement la bouteille de Jack Daniel’s, puis son costume. Il se lève lentement, s’approche de la table et pose la main sur la bouteille. Au même moment, on frappe à la porte. Jake lâche la bouteille.

Jake: Ouais?

La porte s’entrouvre. C’est Clint Oswald dans son costume de «Liberty» (demi masque, collants or: le héros)

Clint: Pardonne-moi, Jake, je voulais simplement m’assurer que tu étais bien «Pile Driver» (NdT sonnette) ce soir, je dois faire une intro pour la télé. (Jake fait oui de la tête) ... Quelque chose qui ne va pas? Ce ne sont pas tes lombaires qui disjonctent encore, j’espère? (aucune réaction de Jake) Si tu veux, on peut laisser tomber le saut du troisième câble et passer directement aux rabattements.

Jake: Mon dos va très bien.

Clint: Mais alors...

Jake: ... Alors j’en ai marre. «Pile Driver» ce soir; hier c’était « Mister Hurricane» (NdT  Monsieur Ouragan) et demain «Rocket Launcher» (NdT Lance-fusées) ; tous des noms qui n’allument aucune flamme dans l’oeil de notre jeunesse. Je suis foutu; Jake Meighan, c’est terminé.

Clint: Tu exagères... Peut être que ces jeunes ne te connaissent pas, mais il y a plein de gens de ma génération qui se souviennent des exploits de «Captain No Mercy» (NdT Capitaine Sans Pitié)

Jake: (dans un murmure) «Captain No Mercy».

À ce moment, Clint aperçoit la bouteille de whisky.

Clint: Jake...

Jake aperçoit Clint qui aperçoit la bouteille de whisky.

Jake: Et quoi? C’est tout ce qui me reste dans cette putain d’existence. Tu veux me l’enlever?

Clint: Mais tu as perdu la tête? Nous ne jouons plus aux jeux des gamins ici! C’est la WWF! Tu veux perdre ton travail? 

Jake: Perdre mon travail? C’est la meilleure! Mon travail C’EST de perdre! 

Clint: Et tu le fais magnifiquement bien. Mais je ne tolérerai pas de me battre contre un homme aux facultés affaiblies.

Jake se lève, furieux, et se jette sur Clint.

Jake: Tu vas voir si j’ai les facultés... AOW! (Clint l’esquive et lui flanque un coup sur les lombaires, Jake est neutralisé)

Clint: Je... Jake... Je suis désolé. Laisse moi t’aider. (Il aide Jake à se rasseoir, ce dernier s’aggrippe à lui).

Jake: (dans un sanglot) Je suis foutu. Foutu. 

Clint: Mais non. Mais non. Mais il serait peut-être temps que tu te réorientes.

Jake: dans quoi? je n’ai pas fais d’étude. Le «ring» , c’est toute ma vie.

Clint: Justement! Pourquoi t’en éloigner? Il y a longtemps que nous n’avons pas eu un personnage d’entraîneur; ce serait une occasion parfaite de ramener «Captain No mercy»; tu pourrais être MON entraîneur. Et j’ai le vent dans les voiles ces jours-ci.

Jake: Tu crois?

Clint: Bien sûr! 

Jake: Peut-être! oui! Je vais y réfléchir.

Clint: En attendant, habille toi! j’ai à te foutre une raclée... Si je m’attendais un jour à dire cela à celui qui a réinventé le «Full Nelson»*

Jake: Plus personne ne se sert du «Full Nelson» de nos jours.

Un temps.

Clint: Si tu veux, je peux l’utiliser, dès ce soir.

Un temps.

Jake: Tu ferais ça pour moi?

Clint: Il n’y a rien que je ne ferais pas pour le «Captain No Mercy»...
Je n’ai qu’à pivoter après la prise de tête et au lieu du «Sledge Hammer» (NdT marteau de forgeron) , je te fais le «Full Nelson» avant de t’envoyer au tapis.

Jake: et que dira Brad de tout cela?

Clint: mais qu’est ce que tu veux que ça lui foute? En autant qu’on respecte le minutage. Il t’aime bien, Brad; c’est simplement qu’il est chiant avec tout le monde... Allez, «Pile Driver», enfile ton costume et montre-moi ce que tu sais faire!!!

Clint se dirige vers la porte, l’ouvre et va sortir, lorsqu’il s’arrête brusquement.

Clint: Jake...

Jake: Oui?

Clint: Tu sais... je... enfin... Que tu sois «Captain No Mercy» ou... ou... «Pile Driver»... Tu demeureras toujours pour moi une merveilleuse machine de combat...

Jake: (l’émotion est palpable) Merci Clint. Tu es vraiment un chic type.

Clint sort. Jake commence à enfiler son costume. Son regard s’arrête brusquement sur la bouteille de whisky. Puis d’un pas décidé, il se dirige vers elle, la saisit, et la jette dans les poubelles. On entend de nouveau la foule extatique. Jake sourit. 

Noir

*(NdT: le «Full Nelson» est une prise de combat se rapprochant de la clé de bras double, par opposition au «half Nelson» (demi) qui se rapproche de la clé de bras simple)

Avant