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Tous les textes, sauf indication contraire: © Jean Robert Bourdage 2012 - 2019

26.10.11

De la peur du dentiste...

Sa peur du dentiste n'était pas tout à fait une chose irrationnelle. D'abord, même très jeune, il devait y aller seul. Le dentiste avait son bureau dans une immense maison victorienne de l'autre côté du "boulevard" qui limitait son quartier. Ça le faisait rire à présent, puisque ce dangereux boulevard n'est rien d'autres qu'une rue à quatre voies, comme il y en a tant. Mais à l'époque, il était immense et plein de dangers comparé aux trois petites rues isolées de son quartier.

Il lui fallait donc d'abord traverser ce boulevard terrible, plein de voitures immenses, et se rendre dans cette maison aux airs lugubres, située entre un salon funéraire et l'église de sa paroisse. Bonjour l'ambiance.  Mais c'est à l'intérieur que c'était le pire. Voyez-vous, le dentiste en question pratiquait aussi la taxidermie comme violon d'Ingres, et le cabinet, ainsi que la salle d'attente, étaient remplis de ses oeuvres: hiboux, lynx, renards, tous figés dans des positions terrifiantes. Le gamin se disait sans doute qu'il devait y en avoir d'autres. En fait, il pensait même que certains patients... car voyez-vous, le dentiste en question n'avait rien de rassurant; maigre et chauve, avec un sourire menaçant et une voie gutturale, il avait tout du cliché du scientifique fou, ou du médecin nazi, selon votre éducation. C'était particulièrement vrai lorsqu'il approchait le masque à gaz de votre visage car, oui, ce dentiste préférait ses patients sous anesthésie générale. Il n'en fallait pas moins pour le tout jeune homme de croire que certains patients ne se réveillaient jamais et se retrouvaient empailler dans une pièce secrète de la grande maison. Le jeune homme avait l'imagination fertile.

La dernière fois qu'il alla chez ce dentiste, la porte entre le cabinet et la salle d'attente était demeurée entrouverte. Le patient sur la chaise était un colosse à la longue chevelure noire. Un amérindien, sans doute, se disait le gamin. Le patient était éveillé et trois hommes retenaient ses bras et jambes alors que le dentiste-Mengele tentait de lui arracher une dent à vif avec des pinces. Les cris de l'amérindien glacèrent le sang du gamin qui, dans un geste qui relevait plus selon lui de la survie que de la peur, s'enfuie à toutes jambes et rentra chez lui par un chemin détourné, le temps de songer à l'excuse qu'il allait présenter à sa mère.

Aujourd'hui, le dentiste est depuis longtemps décédé. Le gamin n'est plus un jeune homme, mais il est toujours hanté d'un frisson lorsqu'il passe devant la vieille maison victorienne, désormais convertie en musée de la taxidermie.

Avant